Almaghrib - 1ère année - No 32 - 30 juin 1937

Dans un précédent numéro "Almaghrib" a publié la traduction d'un article rédigé par un ami de ma ville natale sur "le Club littéraire islamique de Salé" paru dans "l'action du peuple". Je suis moi-même membre de ce club depuis sa fondation jusqu'à ce jour, et j'y ai constaté une certaine rivalité entre deux forces antagonistes qui triomphaient alternativement l'une de l'autre, si bien que le club qui avait réussi à avoir une existence légale n'est plus qu'un fumeux souvenir dans la mémoire d'un nombre limité d'adhérents.

Le club a été créé en tant que première graine pour insuffler l'esprit associatif dans la ville de Salé. La récolte produite par cette première moisson a failli donner ses fruits en réussissant à mobiliser les efforts de notre jeunesse autour d'une activité susceptible de l'élever au niveau des responsabilités qu'elle sera appelée à assumer à l'avenir.

Mais l'autorité publique ne manquait pas de saisir toutes les occasions et d'avoir recours à toutes les ruses pour parsemer d'embûches le chemin que le club s'est tracé avec comme objectif d'aider la jeunesse de la ville à oeuvrer pour elle-même, de lui ouvrir de nouveaux horizons et de lui inculquer l'esprit de l'association et de la coopération.

L'Administration n'a cessé de créer des obstacles et d'invoquer toutes sortes de prétextes pour mettre un terme aux activités des membres résolus des instances dirigeantes du club et contrecarrer tous les projets tendant à créer un climat intellectuel au sein de la jeunesse de la ville.

En examinant rétrospectivement l'histoire de cette jeune institution, on constate qu'elle était le lieu de tant d'espoirs, mais aussi de tant de difficultés qui ont failli venir à bout de toutes les bonnes volontés. Chaque personne qui fréquentait le club peut se rappeler les péripéties par lesquelles il est passé.

C'est pourquoi je voudrais adresser ici un mot aux responsables de l'autorité publique pour leur dire que nous sommes disposés à oublier le comportement qu'ils ont eu avec nous jusqu'à présent et nous tourner résolument vers l'avenir en mettant un terme définitif à l'antagonisme du passé.

Le club a été créé à des fins associatives qui ne visaient aucune activité politique. Ses instances dirigeantes ont respecté les règles du jeu, et le club n'a ainsi jamais dévié au cours de son histoire de la ligne de conduite clairement définie par la loi, et que vous avez vous-mêmes reconnue après qu'elle ait été modifiée à plusieurs reprises.

Pourquoi donc vous opposez-vous maintenant aux programmes que le club exécute dans le cadre de la loi? Pourquoi voyez-vous dans ses activités associatives pures une orientation politique et les considérez-vous comme ayant des visées hostiles? Est-ce que toutes les activités qui se proposent de promouvoir l'esprit associatif dans le domaine culturel ou socio-économique sont considérées par les autorités responsables comme portant atteinte à la mission civilisatrice de la France dans ce pays?

Si telle est leur conviction, qu'il nous soit permis de leur demander ce qu'ils entendent par mission civilisatrice. Est-ce celle qui consiste à nous maintenir dans notre état de régression et d'inconscience pour servir de source de profits pour les autres et de foyer de malheur pour nous-mêmes?

Nous souhaitons que la phase que traverse actuellement notre pays mette un terme à tous ces comportements, et que la jeunesse entâme une nouvelle ère lui permettant d'exercer son esprit associatif dans des activités fructueuses, et trouve auprès des responsables l'encouragement et la stimulation nécessaires pour qu'ils réussissent dans leurs entreprises.

Notre voeu le plus cher est de pouvoir baisser un rideau opaque sur ces agissements que nous condamnons de toutes nos forces. Sont-ils disposés à enterrer le passé? Sont-ils désireux d'ouvrir une nouvelle voie devant les générations montantes?