Né le 2 mars 1912 a Salé (Maroc), précédant de quelques semaines la signature du Traité de Fès qui a placé le Maroc sous le régime du protectorat, Saïd Hajji était appelé dès son très jeune âge à nourrir des sentiments patriotiques qui l'incitaient à tout mettre en œuvre pour libérer son pays de l'occupation étrangère.

Issu d'une famille de patriotes, il savait qu'il était investi d'une mission sacrée puisqu'il était le descendant d'une lignée qui conduisait jusqu'à ce grand combattant qu'était Sidi Ahmad Hajji, son arrière grand-père qui s'était établi à Salé à la fin du 17ème siècle, après avoir délivré Mehdiya de l'occupation espagnole et permis la remise des clés de la ville libérée au Sultan Moulay Ismaël.

Cette volonté s'est traduite chez lui, dès l'âge de 16 ans, par le recours au seul moyen dont il pouvait disposer pour dénoncer la politique coloniale, à savoir une presse écrite libre; mais devant l'absence d'un tel instrument de communication qui aurait facilité la propagation des idées, il s'est employé à confectionner un journal entièrement manuscrit et recopié à des centaines d'exemplaires destinés à être distribués dans les principales villes du pays.

C'est à travers ce journal qui portait le titre "Alwidad" qu'il a pu donner libre cours à l'expression de sa volonté de faire partager par le public de ses lecteurs l'idée qu'il se faisait d'un Maroc libre, ouvert au progrès et aux conditions de vie du monde moderne.

Mais c'est surtout au début des années trente que Saïd Hajji s'était placé aux premières lignes du combat politique après avoir pris une part active dans le mouvement de rejet du dahir berbère du 16 mai 1930, qui prévoyait une séparation stricte entre la communauté musulmane d'origine arabe et les populations berbères dites autochtones, en soumettant celles-ci à un systeme particulier de juridiction fondé sur le droit coutumier et excluant toute référence aux préceptes du droit musulman.

Cette prise de position farouchement hostile à la politique berbère instaurée par l'administration du protectorat français au Maroc lui a valu de se soumettre à une mesure d'interdiction de quitter le territoire national, à un moment où il s'apprêtait à partir pour le Moyen-Orient pour y poursuivre ses études.

Lorsque cette mesure a finalement été levée au mois de novembre de la même année, il s'est embarqué pour Beyrout, puis s'est installé à Damas et enfin au Caire, transformant chaque fois son domicile en un office de propagande en faveur de la cause marocaine, à partir duquel il procédait à une distribution systématique auprès des principaux organes de presse de l'ensemble des pays de la région, d'articles circonstanciés mettant en exergue les méfaits de la politique coloniale de la France au Maroc.

En 1933, il lui a été proposé de se joindre à une commission restreinte chargée d'élaborer un cahier de doléances faisant ressortir tous les domaines qui nécessitaient des réformes immédiates dont le Maroc avait besoin pour s'ériger au rang d'une nation digne de son passé historique et pleinement responsable de son destin politique.

En tant qu'initiateur d'une partie importante des doléances formulées dans le cahier des revendications présenté au milieu des années trente par le Mouvement National à Sa Majesté le Sultan ainsi qu'au Gouvernement français et au résident général de France au Maroc, Saïd Hajji pouvait dès lors être considéré comme une véritable figure de proue dans le domaine de la lutte anti-coloniale, en ce sens qu'il était l'un des premiers à avoir revendiqué en faveur du peuple marocain l'application du Code des Libertés Publiques, et en particulier les clauses relatives à la liberté de presse et aux libertés d'expression et de réunion qui étaient soit inexistantes soit entièrement bafouées.

A son retour définitif au Maroc en 1935, il a aussitôt repris sa place parmi les leaders du Mouvement National, participant à toutes les réunions de ses instances dirigeantes, prenant la parole aux grands rassemblements à caractère politique ou culturel, animant conférences et causeries à thème sur différents aspects de la vie sociale au Maroc, tout en alimentant certaines revues de langue arabe de Tanger et de la Zône Nord qui était alors placée sous tutelle espagnole, de critiques littéraires, d'essais philosophiques, voire d'articles d'inspiration politico-sociale.

Pendant cette même année, il a introduit une demande d'autorisation de procéder à l'édition d'une publication intitulée "Marrakech" en précisant qu'elle allait être exclusivement consacrée aux activités culturelles et à la mise en valeur de la production littéraire et artistique; mais cette demande a été rejetée sans que fût fourni un motif valable de rejet.

Cette mesure arbitraire a amené Saïd Hajji, en qualité de promoteur du projet, à prendre l'initiative d'adresser au résident général de France à Rabat une lettre de protestation énergique, par laquelle il lui a exprimé ses regrets de constater que la France, pays dit des Droits de l'Homme et des Libertés Publiques, a tendance à oublier dans les pays placés sous son protectorat les principes les plus élémentaires de tolérance et de respect de ses propres traditions républicaines.

En 1936, les instances dirigeantes du Mouvement National ont de nouveau fait appel à son engagement dans la lutte pour l'instauration des libertés publiques pour participer aux travaux d'une commision restreinte chargée de poursuivre le dialogue avec les autorités du protectorat français au Maroc au sujet de la mise en exécution des demandes formulées dans le cahier des revendications, et en particulier celle relative à la liberté de presse.

Mais devant l'intransigeance de "la Direction des Affaires Indigènes", la commission qui venait de se constituer a procédé à l'élaboration d'un document destiné au peuple marocain critiquant cette intransigeance et retraçant les étapes parcourues ainsi que les difficultés auxquelles s'est heurté le projet d'application au Maroc du Code des Libertés Publiques.

Saïd Hajji est allé au-dela de ce document en échafaudant tout un programme de mise en œuvre de l'exercice du droit de presse, compte tenu des conditions requises par la législation en vigueur dans ce domaine. Ce programme, il en a fait un véritable cheval de bataille dans toutes ses interventions, à la fois au niveau du discours oral et de ses écrits politiques.

Puis, à la faveur de circonstances particulières, liées d'une part à l'arrivée au pouvoir du Front Populaire en France, et d'autre part à un changement de stratégie intervenu dans le cours de la politique menée jusque-là par les autorités du protectorat français au Maroc à l'égard du Mouvement National, certains journaux de langue arabe ont été autorisés à paraître.

C'est ainsi que le journal "Almaghrib" fondé par Saïd Hajji en 1937 a pu voir le jour, ouvrant ainsi la voie à la publication d'un certain nombre d'analyses et de commentaires de nature à éclairer l'opinion publique sur la situation politique, économique, sociale et culturelle du pays.

Toutefois, il est à signaler que les autorisations accordées aux journaux nationaux de langue arabe étaient assorties de conditions draconiennes limitant sérieusement l'exercice de la profession jounalistique.

Ces conditions vont de l'avertissement à la confiscation de numéros entiers au cas ou les responsables du journal ne jugent pas utile d'obtempérer aux ordres de supprimer d'eux-mêmes tel ou tel article signalé par la commission de censure, ou encore à la criminalisation pure et simple de l'auteur d'un article dans lequel il a émis une opinion jugée politiquement inacceptable par l'administration de tutelle, et sa traduction devant les tribunaux militaires connus pour l'extrême sévérite de leurs jugements.

Il n'en demeure pas moins que, malgré toutes ces contraintes, la presse nationale d'expression arabe a pu naître; et cet événement à la realisation duquel Saïd Hajji a très largement contribué, peut être considéré comme une victoire du Mouvement National sur les adversaires des valeurs républicaines de la France qui se comptaient par milliers parmi les représentants de l'ordre établi.

Abderraouf Hajji