"Al Alam" 15 janvier 1989

Parmi les centaines de nouvelles rapportées par le journal "Almaghrib", mon choix s'est porté sur celles qui m'ont paru les plus dignes d'intérêt et les plus à même de permettre de tirer les conclusions qui s'imposent sur le plan historique, politique, économique et social. Ces nouvelles sont:

  • Les évènements de Boufekrane

Dans une correspondance que le journal a publiée dans son numéro 61 du 6 septembre 1937, on pouvait lire un compte-rendu de l'état de bouillonnement du peuple à la suite de la grève générale décrétée à Meknès qui avait fait l'objet d'un siège en bonne et due forme. L'autorité militaire y avait investi toutes les artères pour procéder à un contrôle strict des mouvements de foule ainsi qu'à une fouille systématique de tous les passants. Mais malgré toutes ces mesures, les réunions succédaient aux réunions, et le mouvement de protestation se poursuivait dans la discipline et se déroulait, sur le plan de l'organisation, conformément au plan établi et aux mots d'ordre reçus.

En ce qui concerne l'affaire proprement dite des eaux de Boufekrane, elle trouve son origine dans la politique d'implantations des colons français dans les terres appartenant aux nationaux, et en particulier les terres agricoles de la région de Meknès qui comptent parmi les terres les plus productives du pays. La confiscation de ces terres au profit de colons fraichement arrivés de la métropole s'est faite avec l'appui du Résident Général de France à Rabat qui a mis toute la logistique nécessaire pour mener à bien les opérations de distribution des terres confisquées aux nouveaux attributaires.

Or, la ville de Meknès avec ses mosquées, ses palais et ses jardins ainsi que les terres agricoles qui l'entourent, était arrosée par les eaux de Boufekrane dont la source remonte à Aït Bourzine dans la région d'El Hajeb. Et c'est précisément les eaux de cette source unique d'alimentation en eau que l'autorité coloniale a cherché à partager entre la ville et les terres confisquées, en prenant à cet effet un arrêté daté du 12 novembre 1936 et qui devait entrer en application le 12 avril 1937 après publication au journal officiel.

Cette mesure arbitraire a eu des conséquences néfastes sur la ville. Les habitants ont élevé des motions de protestation à Sa Majesté le Roi et au Résident Général de France à Rabat ainsi qu'au gouverneur français de la province de Meknès. Une commission de défense des eaux de Boufekrane s'est constituée avec comme devise "L'eau nous appartient, nous nous sacrifierons pour elle". De nombreuses manifestations ont été organisées à Meknès à la suite de la traduction en justice de 5 membres de la commission précitée. Une confrontation a eu lieu entre l'armée française et les manifestants le 2 septembre 1937, se soldant par une vingtaine de morts et un grand nombre de blessés. La ville de Meknès a certes perdu quelques uns de ses fils, mais elle a pu sauvegarder l'usage exclusif des eaux de Boufekrane.

Pour en savoir plus sur cette question qui a revêtu un caractère national, on peut consulter l'ouvrage qui lui a été consacré par le professeur Brahim Al Hilali, qui était lui-même témoin oculaire des évènements relatés ci-dessus.

  • Le Pacte Asiatique ou Pacte Saad Abad

Dans son numéro 61, "Almaghrib" s'est fait l'écho d'un évènement d'une importance toute particulière, bien qu'il n'ait pas eu un impact suffisant sur les nations arabo-islamiques habituées à vivre dans l'ignorance de ce qui se passe autour d'elles. Mais cet évènement tire son importance de ce que les pays européens sont extrêmement attentifs à toute union pouvant intervenir entre les pays arabes ou musulmans, et mettent tout en oeuvre pour la faire échouer. Il s'agit du Pacte Asiatique ou Pacte Saad Abad conclu entre l'Irak, la Turquie, l'Iran et l'Afghanistan. Citant une revue de l'époque, le journal a repris le commentaire suivant:

"Le pacte d'amitié conclu entre les 4 pays musulmans augure d'une nouvelle politique qui s'instaure dans le monde; et il appartient aux Européens de lui accorder tout l'intérêt qu'il mérite et de le considérer non pas comme le résultat d'une démarche ordinaire susceptible de les laisser indifférents, mais comme le signe d'une orientation nouvelle tendant à faire prendre conscience à ces pays qu'ils constituent une force organisée qui leur faisait défaut depuis fort longtemps... D'autres pays comme l'Egypte, le Yémen et l'Arabie Saoudite ne tarderont pas à entrer dans ce pacte, ce qui mettrait l'Europe devant un nombre important de pays musulmans liés par un pacte d'alliance, et pouvant jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale".

C'est avec cet esprit que les Européens suivaient et contrôlaient la situation politique des Etats musulmans, et ils ont réussi à introduire des motifs d'hostilité dans les rangs de ces pays, sabordant ainsi toute tentative d'unité islamique et ce, dans le but avoué de faire travailler leurs usines d'armements ainsi que leurs institutions bancaires.

  • Statistiques concernant les postes de radio au Maroc

Le journal a publié dans son numéro 104 une statistique officielle selon laquelle les postes de radio au Maroc avaient atteint au début de l'année 1939 le chiffre de 38714 dont 7000 appartenaient à des marocains.

  • Le fléau du typhus dans la ville de Fès

"Almaghrib" a rapporté dans son numéro 873 de l'année 1942 que le typhus venait de faire une éruption à grande échelle à Fès, succédant à la vague de la rougeole, et faisant des victimes parmi les jeunes et les notabilités de la ville. Le journal n'a pas manqué de prodiguer aux habitants des conseils de propreté et de leur déconseiller les rassemblements dans les lieux publics.

  • Disparition du Roi d'Irak

Le journal a publié dans son numéro 126 daté du 5 mars 1939 la nouvelle du décès du Roi d'Irak, Ghazi, dans un accident de voiture. Il a informé de l'intronisation du prince héritier Faïçal âgé de 4 ans et de la désignation du prince Abdou Alilah comme Conseiller de la Couronne.

La prière de l'absent a été faite dans les mosquées de Fès et de Rabat en hommage au grand disparu.

  • Le rationnement de la ville de Rabat en 1942

"Almaghrib" a publié dans son numéro 875 la liste des quantités fixées par le rationnement pour chaque habitant, à savoir 800 grammes de sucre, 20 grammes de thé, 350 grammes d'huile, 125 grammes de savon, 20 grammes de riz. Le charbon est accordé à tous ceux qui pratiquent une profession; le pétrole est distribué à raison d'un demi litre par famille n'utilisant pas le courant électrique; chaque personne a droit à 3 kilos de charbon; quant aux familles de plus de 15 personnes, il leur est accordé 20 kilos. Le journal ne précise pas si ces quantités sont hebdomadaires ou mensuelles. Dans le numéro 808 de la même année, le journal a publié un communiqué relatif au rationnement de la viande suite à la décision de fermeture des boucheries européennes de février à mars. Les quantités de viande de cochon vont augmenter en faveur des européens qui auront droit, en outre, à une revalorisation des quantités d'huile et d'oeufs qui leur sont distribuées, tandis que les marocains continueront de pratiquer l'égorgement des bêtes destinées à leur consommation. Toutefois, il est strictement interdit de servir des plats de viande au dîner dans les restaurants publics.

  • Dénonciation des traditions rétrogrades

Dans son numéro 134 de l'année 1939, "Almaghrib" a demandé à ce que soit exécuté l'ordre d'interdiction des manifestations perverses organisées par les confréries à l'occasion de la commémoration de la naissance du prophète. Cet ordre a été exécuté à Rabat, mais ne l'a pas été à Salé. Le journal demande l'ouverture d'une enquête pour chercher les responsables qui ont fait preuve de négligence dans l'exécution des ordres, d'autant plus que ces ordres émanaient d'un dahir pris par Sa Majesté Mohammed V interdisant à ces confréries de faire revivre les traditions rétrogrades, mais il s'est avéré que c'était l'administration du protectorat elle-même qui était intervenue en faveur du maintien de ces traditions au motif qu'elles constituaient une attraction pour les touristes à qui elles offraient un spectacle "exotique" comme il n'en existait nulle part ailleurs.

En conclusion, on peut dire que grâce à un choix méticuleux des nouvelles diverses "Almaghrib" fournit l'image d'un journal national ayant contribué avec ses autres confrères avant lui et après lui à un véritable réveil des consciences ainsi qu'à une mobilisation du peuple dans la lutte contre le colonialisme.