"Al Alam" 8 janvier 1989
La presse nationale et la question palestinienne
La Palestine est enracinée dans le coeur de tous les Arabes du Golfe à l'Atlantique et sa libération continue d'occuper l'esprit de tous les musulmans, où qu'ils se trouvent, jusqu'à ce qu'elle se réalise avec l'aide de Dieu. Aussi n'est-il pas étonnant qu'elle occupe une place privilégiée dans la presse arabo-musulmane.
S'agissant plus particulièrement de l'objet de la présente étude, il convient de relever que la première parution du journal "Almaghrib" en entâmant sa seconde année a coïncidé avec la tenue d'une Conférence qui s'est penchée sur la problématique de la question palestinienne. Ainsi, le numéro 100 du 4 février 1939 a annoncé que la Conférence sur la Palestine allait se réunir le 27 février 1939 avec la participation de toutes les parties concernées, à savoir les Arabes de Palestine, les Principautés environnantes, l'Egypte, l'Irak, le Hijaz, le Yémen, la Transjordanie ainsi que des représentants des commuunautés juives d'Amérique, d'Afrique du Sud et l'agence internationale juive.
Le directeur du journal a consacré à cette Conférence un article dans le numéro 102, mettant en lumière les droits légitimes des Arabes; il a appelé à l'instauration de la paix et de la justice dans cette région sacrée en exhortant les participants à la Conférence à oeuvrer dans ce sens. Il a écrit notamment:
"Quels que soient les malheurs subis dans un passé récent et le triomphe éclatant de la force sur le droit, toute personne fidèle à l'arabisme et à l'islam espère de tout son coeur que la Conférence aboutisse à l'instauration de la paix et couvre d'un rideau opaque les évènements dont la région a été le théâtre, quand bien même les Arabes de Palestine ont fait montre de courage et de combativité prouvant au monde entier qu'ils seront disposés à tous les sacrifices si justice ne leur est pas faite. Il a ensuite analysé le fond du conflit et les objectifs des parties en présence: arabes fermement attachés à leur terre et à leurs droits, juifs rêvant de chasser les arabes de leurs demeures pour s'y implanter, anglais oeuvrant dans l'intérêt exclusif de leur empire et ne craignant rien moins que la menace de se voir retirer la suprématie qu'ils exercent en qualité de mandataires dans cette région".
Et Saïd Hajji de poursuivre:
"Les arabes ne cherchent en aucune manière à nuire aux juifs en tant que tels, mais ils combattent le sionisme et continueront de le combattre si la Conférence de Londres n'y met pas fin. L'objectif unique du sionisme étant de chasser les arabes hors de Palestine, la nation arabe mettra elle aussi tout en oeuvre pour retourner cet objectif contre le sionisme lui-même si aucun accord n'intervient au sujet de la reconnaissance des droits légitimes du peuple palestinien".
Dans son numéro 104, le journal a fait état de la poursuite de la confrontation qui oppose les deux camps au sein même de la Palestine. Il a relaté, en outre, que la Conférence de Londres a passé la première semaine à résoudre les conflits inter-arabes, et que le président de la délégation palestinienne, Jamal Alhoussaïni, a proposé une recommandation visant l'arrêt immédiat des immigrations sionistes, l'annulation de la déclaration Balfour, la reconnaissance de l'indépendance de la Palestine et la fin du mandat britannique, en contrepartie de la reconnaissance aux juifs du droit de se prévaloir de tous les privilèges consentis aux minorités. Mais les demandes formulées par Weizmann au nom des communautés juives n'ont fait l'objet d'aucune recommandation.
Le journal a ensuite repris dans son numéro 109 le texte d'un commentaire politique publié par le "Daily Express" à l'occasion de la réunion de la Conférence precitée et dont l'essentiel se présente comme suit:
"Cette situation ne saurait durer; nous devons comprendre, et les juifs aussi, que ce sont les arabes qui constituent la grande majorité du peuple palestinien, et que si les juifs se sont installés dans ce pays il y a des milliers d'années, cette réalité ne leur donne aucune priorité à l'heure actuelle. Les romains aussi s'étaient installés en Grande Bretagne il y a 2000 ans, mais ceci ne donne aucun droit aux propriétaires des restaurants italiens à Londres de prétendre aujourd'hui être les maïtres du pays et aspirer à le gouverner en se fondant sur cette constatation historique. Ceci étant, les arabes doivent garder présent à l'esprit que les juifs se sont installés en Palestine avec l'aide et sous la protection du gouvernement britannique, et il leur est pour le moins difficile de remettre en question ce qui a été réalisé avec l'aval de la puissance mandataire".
"Almaghrib" nous renseigne dans le numéro 119 que l'échec de la Conférence de Londres est dû au rejet par les arabes et par les juifs du programme proposé par l'Angleterre, les uns y voyant la non reconnaissance de leurs droits légitimes, les autres la non acceptation de l'ensemble des exigences objet de leurs revendications. Mais le journal impute l'essentiel de la responsabilité de l'échec à l'intransigeance des représentants de communautés juives qui n'ont pas voulu saisir l'occasion de trouver un terrain d'accord avec les arabes, ceux-ci posant comme condition sine qua non à la réalisation d'un accord juste et durable la renonciation par la partie juive à ses prétentions de créer un état sioniste en terre palestinienne.
Le journal a rapporté dans son numéro 125 que Gandhi à qui il a été demandé de prendre position dans le conflit israelo-arabe sur la question palestinienne ainsi que dans la chasse au juif telle qu'elle était pratiquée sous le troisième Reich, a répondu par un article qu'il a fait publier par le "Sunday Referee" que les juifs doivent être traités partout où ils sont nés d'une manière juste et équitable, mais que s'ils venaient à créer un état sioniste en Palestine, ils continueraient toujours à nourrir le sentiment qu'ils sont indésirables dans les pays où ils se trouvent et que la seule issue qui leur resterait serait l'exode vers "la terre promise". Gandhi estime que les juifs doivent choisir la voie de la non violence pour mériter d'être considérés comme le peuple élu de Dieu. Ils doivent considérer que chaque pays représente pour eux une patrie, y compris la Palestine, mais à condition que ce processus d'intégration se déroule dans un climat d'entente cordiale et de non violence.
La situation des juifs marocains
La période de la seconde guerre mondiale a connu une série de mesures réglementant la situation spécifique des juifs d'Europe. L'Administration du Protectorat au Maroc, quant à elle, a pris un certain nombre de dispositions privant les juifs de leurs droits et privilèges sous prétexte qu'ils fuyaient les obligations imposées au reste des nationaux en temps de guerre. Leur activité était désormais limitée au commerce et à l'industrie; il leur était interdit de négocier des contrats de prêts de quelque nature que ce fût, et ils étaient tenus de répondre à des questionnaires d'ordre statistique permettant de savoir si les intéressés s'étaient déclarés personnellement auprès du pacha ou du caïd et, s'agissant des juifs étrangers, s'ils étaient normalement inscrits dans les registres du responsable de la région. Cette déclaration personnelle devait être accompagnée d'un relevé des disponibilités financières ainsi que des biens meubles et immeubles de chacun, marchandises en vente ou en dépôt comprises (No 749 du 9 août 1941).
De plus, les juifs ont été assujettis à une loi d'exception à deux volets, l'un concernant les juifs du Maroc, l'autre les juifs de France. Cette loi prévoyait l'interdiction faite aux juifs de remplir les fonctions suivantes:
Il leur était désormais interdit d'être membre d'organisations juridictionnelles ou professionnelles ou de toute autre entité représentative issue du système électoral. Il leur était également interdit de remplir une quelconque fonction d'autorité ou d'être fonctionnaires à des postes de responsabilité au sein de l'Administration marocaine ou de "la Direction des Affaires Politiques" ou en qualité d'auxiliaires de la justice française ou d'attachés auprès des tribunaux marocains, à l'exception des tribunaux israelites. Ils ne pouvaient pas davantage être attachés aux services de sécurité ni être admis dans les services de l'enseignement public, sauf dans les institutions réservées aux marocains de confession juive. Ils n'étaient pas non plus autorisés à exercer la profession d'avocat devant les juridictions marocaines, pas plus qu'ils n'étaient admis à remplir les fonctions d'experts près ces tribunaux ou d'interprètes assermentés, avec toutefois une exception pour les interprètes chargés de la traduction en langue syriaque, lesquels n'étaient eux-mêmes admis à exercer cette fonction que s'ils étaient porteurs d'une carte d'ancien combattant, qu'ils s'étaient distingués sur le champ de bataille, qu'ils étaient décorés de la croix de guerre et qu'ils avaient obtenu l'insigne du mérite militaire.
Les juifs marocains pouvaient certes s'adonner en toute liberté aux activités industrielles et commerciales, mais la loi leur interdisait d'exercer le métier de banquier ou de spéculateur boursier, et ne les autorisait pas davantage à se prévaloir de la liberté de presse pour publier un journal; cette interdiction ne s'appliquant pas aux publications à caractère scientifique ou religieux.
Le Résident Général de France à Rabat est allé encore plus loin dans le domaine des interdictions en faisant obligation aux juifs qui habitaient dans les nouveaux quartiers résidentiels réservés aux européens de retourner au Mellah qui regroupe les habitations juives et ce, à compter du 1er septembre 1939. Un arrêté a été pris dans ce sens et a été publié au journal officiel, fixant un délai aux juifs concernés pour quitter les lieux précités (No 757).
Le journal a publié dans son numéro 758 que le délégué du Gouvernement Français chargé des questions juives a déclaré à l'occasion de sa visite au Maroc que l'objet de la visite qu'il effectuait dans les pays d'Afrique du Nord était d'étudier la situation des juifs d'Algérie ainsi que la réglementation prise par les Autorités du Protectorat du Maroc et de la Tunisie en ce qui concerne les ressortissants juifs de ces deux pays. Il a ajouté que sa mission consistait également à évaluer l'impact exercé par les activités industrielles et commerciales de la minorité juive sur la situation économique en Afrique du Nord, et à étudier les moyens à mettre en oeuvre pour mettre un terme à cette influence jugée pour le moins inopportune dans les circonstances d'alors. Au mois d'août 1941, un arrêté relatif à l'exercice du métier d'avocat par les ressortissants juifs a été pris, limitant leur proportion à 2% de l'ensemble des avocats exerçant au Maroc, et fixant un délai de deux mois à la communauté juive pour se plier à cette exigence.