Almaghrib - 5 juillet 1937

Marrakech est pratiquement la seule ville du Maroc où les administrés vivent dans un climat de tension permanente entretenu par les représentants de l'autorité publique, rappelant une de ces périodes des ténèbres au cours de laquelle le pouvoir féodal au sens plein du terme a régné en maître absolu tandis que la vie de l'individu ne valait pas grand'chose.

Le Maroc s'apprête aujourd'hui à connaître une évolution sensible, visant des objectifs clairs et précis. Ses hommes d'action s'évertuent à lui ôter cette image périmée que nous avons héritée des temps obscurs, et que la politique de répression a réussi à préserver. C'est la raison pour laquelle nous nous adressons en toute sincérité avec la présente requête à l'autorité supérieure responsable dans ce pays pour qu'elle mette à profit l'expérience qu'elle a acquise dans ce domaine et remédie au plus vite à cette situation, après examen des causes des incidents qui se sont multipliés ces derniers jours, réprimant toutes les consciences et heurtant tous les sentiments, pour que vivent les rapporteurs et les intrigants qui empestent l'atmosphère.

L'intérêt de la nation au service duquel toute autorité publique est censée se plier, est menacé de graves dangers des suites de ces étranges comportements qui devraient être enterrés et qu'il faudrait couvrir d'un voile épais pour en effacer le souvenir dans l'esprit de ceux qui, à la seule évocation des misères qu'ils ont endurées, se représentent la vie en noir et voient défiler sous leurs yeux les scènes de ces comportements moyen-âgeux qui, une fois révélés à la conscience humaine, montrent le Maroc sous son vrai visage, et non pas comme se l'imaginent ces écrivains rétribués pour falsifier la réalité.

L'administration centrale a tout intérêt à mettre un terme à ces comportements pour le moins anormaux, qu'il serait honteux de diffuser parmi les nations civilisées, et que nous regrettons beaucoup qu'ils puissent se manifester encore à notre époque. Le peuple marocain n'est plus en mesure de comprendre les problèmes comme veut les lui faire comprendre une poignée d'hommes peu scrupuleux de l'intérêt public. Il n'accepte plus d'être traîté de peuple inconscient, qui marque par un signe de la tête son accord et son soutien inconditionnel à toute action émanant des représentants des autorités locales. Il sait que ceux-ci évoluent dans un monde isolé du processus d'évolution et des exigences de l'époque moderne dans laquelle nous vivons.

Le bon sens ne peut admettre que toute action dont on attend du bien pour le peuple marocain donne lieu à des incidents qui exacerbent les esprits et provoquent des troubles. Nous sommes persuadés que l'administration centrale n'a aucun intérêt à ce qu'un tel climat de tension persiste. Notre sentiment est qu'elle préfère renforcer les liens qui unissent le peuple au gouvernement sur la base de la confiance et du respect mutuels. Nous sommes également convaincus que ses théoriciens veillent à ce qu'un climat de compréhension et de coopération s'instaure au plus vite au service du peuple. Nous formulons l'espoir que les pouvoirs publics ne laissent pas échapper cette occasion qui invite à l'optimisme et fait augurer d'un changement de politique de nature à ouvrir la voie à la mise en oeuvre des revendications urgentes soumises aux Autorités supérieures des deux pays. Nous souhaiterions que cette politique d'ouverture soit portée à l'actif d'un gouvernement conscient de la période que traverse le Maroc et qui n'ignore pas que l'objectif du peuple marocain est de sortir le pays de la nuit noire dans laquelle il risque de se noyer.