Almaghrib - 1ère année - No 19 - 31 mai 1937

Pauvres de nous, Marocains! Notre pays se trouve d'un bout à l'autre dans les profondeurs abyssales de l'ignorance, de la misère et de la décadence. Notre existence est exposée matin et soir à l'action dévastatrice des éléments de destruction, sans que nous puissions porter secours à ce qui pourrait en être sauvé, ni être en mesure de changer tel ou tel aspect de la vie marocaine qui nécessite un effort de renouvellement et de réforme.

De quelque côté où l'on tourne la tête, on ne voit que désordre et chaos; on se sent frappé par l'adversité, et on a mauvaise conscience de voir tant de manifestations d'immoralité et tant de signes de déclin. On serait tenté de penser que le Maroc cherche à mettre fin à son existence en tant que nation pour échapper aux servitudes de la vie et ne plus avoir à assumer les responsabilités qui sont les siennes.

La vie de famille est marquée par l'ignorance des règles les plus élémentaires de la vie commune, ignorance caractérisée par la pagaille qui y règne autant que par la rudesse du comportement de ses membres les uns vis-à-vis des autres.

Dans la rue, la conduite des gens laisse beaucoup à désirer; les valeurs morales qui doivent prévaloir dans toute société qui se respecte y font cruellement défaut, tandis que l'analphabétisme est le lot commun de presque tous.

Il est temps de mettre en oeuvre les principes d'une réforme sociale qui nous permettrait de changer le cours et les conditions de notre existence, et de veiller à leur stricte application tant au niveau de la conduite individuelle qu'à celui du comportement collectif. Nous ne devons pour cela compter sur aucune assistance de l'Autorité Publique. Il appartient à notre jeunesse de se mobiliser pour combattre l'ignominie qui nous déshonore; c'est à elle qu'il revient de dénoncer les comportements de vilénie qui souillent notre réputation sur la voie publique. Le rôle de la jeunesse doit être déterminant pour restaurer les bonnes moeurs et contribuer à l'élévation morale de notre société. Une telle mission incombe aux générations montantes qui doivent prendre conscience que les réformes escomptées ne sauraient se réaliser sans leur concours, et encore moins sans qu'ils aient le coeur à l'ouvrage avec la ferme volonté d'y parvenir.

Il est temps pour un renouveau social de grande envergure afin de transformer notre vie de fond en comble, de nous insuffler l'esprit du travail et d'amener les jeunes de ce pays à devenir des hommes responsables, pleinement conscients de leur valeur et sachant qu'ils ne sont pas nés pour mener cette vie abjecte, mais pour élever leur nation au rang qu'elle mérite et lui rendre tout son prestige d'antan. Nous invitons tous les jeunes de ce pays à répondre massivement à notre appel et à tout mettre en oeuvre pour lui donner sans tarder un début d'exécution. Nous formulons l'espoir que cet appel ne sera pas sans écho comme un cri dans un fleuve qui débouche vers le large.