Les emplois fictifs et le cumul des fonctions sont interdits, mais ...
Article non daté repris du tome 2, pages 206-207, de l'essai biographique consacré à Saïd Hajji par Abou Bakr Kadiri
Le rédacteur qui signe ses écrits sous le pseudonyme "colporteur de nouvelles" a consacré l'article qu'il a fait paraître dans le dernier numéro de notre journal aux intellectuels qui ne sont pas admis à dispenser des cours à la Karaouiyine en raison de leur incapacité d'exercer le métier d'enseignant, et qui perçoivent à la fin de chaque mois une rémunération pour un enseignement fictif. Il s'est étonné de cette anomalie, alors qu'une armée imposante d'hommes de savoir meurt de faim et suscite notre pitié.
Si la Karaouiyine compte dans ses rangs une catégorie d'hommes de culture qui se comptent sur le bout des doigts et perçoivent des émoluments sans contrepartie, force sera cependant de constater qu'un tel phénomène se retrouve pratiquement dans toutes les villes et les régions du Maroc et s'y manifeste avec peut-être plus d'acuité et un manque total de retenue dans ce genre de malversations.
Il n'est pas une seule ville où il n'existe pas une catégorie de notables et de personnes nanties qui ne se considèrent pas comme des fonctionnaires de l'administration des habous musulmanes afin de percevoir à la fin du mois une rémunération dont ils ne remettent jamais le retrait au lendemain de la date de paie et ce, sans jamais se soucier de penser s'acquitter vis-à-vis des lieux de culte des obligations religieuses ou éducatives que leur imposent les traitements et salaires qu'ils touchent indûment.
Il est même assez fréquent que la classe des nantis se transmet ce privilège de génération en génération sans même que les différents bénéficiaires mettent jamais les pieds aux endroits où ils sont en principe appelés à exercer l'office pour lequel ils perçoivent un salaire mensuel déterminé.
Celui-ci est censé exercer le métier d'Imam à la mosquée ou enseigner dans une école; cet autre passe pour un prédicateur à la journée ou à la semaine; cet autre encore se dit déclamateur du coran.
Mais tous ne se prévalent de leurs fonctions qu'une fois le mois terminé quand ils se présentent à l'administration des habous pour émarger sur les fiches de paie pour toucher quelques dirhams bien comptés. On les voit ensuite sortir le port superbe et la conscience tranquille comme s'ils viennent d'être récompensés pour un devoir qu'ils auraient accompli.
Il est étonnant de constater que ce type d'individus appartient non pas à la classe des pauvres, mais à celle des nantis qui se recrutent parmi les riches fonctionnaires dotés de hauts salaires, ou parmi les personnes qui exercent des professions libérales dont le revenu mensuel se chiffre par milliers de dirhams et qui, malgré celà, ne se gênent pas de toucher quelques rials avec lesquels ils ne peuvent guère s'enrichir, alors que cette modique somme pourrait largement soulager les indigents si les personnes aisées n'étaient pas à ce point avides pour s'en accaparer.
Chaque année, nous apprenons que le Ministère des Habous publie une circulaire qui réitère l'interdiction de cette pratique; mais nous sommes aussitôt rappelés à la réalité en remarquant que cette circulaire, qui a certes été publiée et diffusée dans les différents services relevant de l'Administration des Habous, ne reçoit aucune exécution. Nous assistons, au contraire, à une recrudescence des flux des personnes nanties qui se dirigent chaque fin de mois vers les bureaux de cette Administration, soit à titre personnel soit par personnes interposées, pour signer les reçus correspondant aux émoluments perçus, prélevés sur l'argent des pauvres.
On ne peut que s'étonner et se demander ce qu'est devenue la circulaire du Ministère. Plus grave encore; il se trouve parmi ces pseudo fonctionnaires des agents qui prétendent remplir plusieurs offices en étant à la fois Imam, déclamateur du coran et enseignant.
Il est temps de mettre un terme à une telle avidité, au besoin en instaurant un contrôle des plus sévères sur les agissements de ces prétendus fonctionnaires. L'argent des habous doit servir à recevoir une affectation conforme aux objectifs qui lui ont été assignés. Il faut que cessent les manoeuvres frauduleuses auxquelles s'adonnent certaines personnes des classes nanties. L'indigent doit bénéficier d'une priorité absolue au niveau des recrutements; et il ne doit être permis à personne de prétendre au privilège du cumul de fonctions et encore moins à l'indécence de tirer profit des emplois fictifs.
De telles mesures sont de nature à alléger la misère du pauvre, à remplir les maisons de Dieu et à mieux assurer la propagation du savoir, conformément à l'esprit des donateurs qui ont confié à cette seule fin tout ou partie de leurs biens à l'Administration des Habous.