Article non daté repris du tome 2, pages 197-198 de l'essai biographique consacré à Saïd Hajji par Abou Bakr Kadiri
Chaque jour nous apporte son lot de situations conflictuelles qui ne font que nous renforcer dans notre conviction qu'une réforme urgente et globale de la justice marocaine s'impose, englobant aussi bien les juridictions de droit musulman que les tribunaux de droit commun. Cette réforme est d'autant plus nécessaire que les actions en justice nous montrent d'une manière éclatante que le Marocain natif de ce pays n'est couvert par aucune garantie légale dans sa patrie.
Devant les tribunaux de droit musulman, il est soulagé de son argent et débouté de ses droits. Devant les tribunaux de droit commun, il n'est pas en mesure d'assurer sa défense. Son sort est entre les mains du pacha ou du caïd qui en font ce qu'ils veulent.
Le moins qui puisse arriver au plaignant est d'être envoyé en prison sans que soient prises en considération les règles les plus élémentaires de la procédure judiciaire. La violation de son lieu d'habitation est une monnaie courante et est confiée aux plus ignorants des auxiliaires de l'autorité publique qui viennent perquisitionner au domicile du prévenu sans preuve légale et sans un ordre de perquisition en bonne et due forme dicté par des motifs de sécurité publique.
La justice est le plus sacré des pouvoirs et s'impose au gouvernement. Si elle fait défaut, tout sera renversé sens dessus dessous, et les affaires de la nation risqueront de chuter dans le plus profond des abîmes. Au Maroc, il est peu fait cas de la justice; on s'en occupe d'une manière très superficielle, et on est loin des réformes revendiquées par le peuple marocain pour en assurer un meilleur fonctionnement et une organisation mieux adaptée à l'esprit d'équité dont elle est complètement dépourvue. Pour parler franchement, la justice marocaine peut être définie comme le lieu de l'injustice par excellence.
Contrairement aux résidents étrangers, le Marocain natif de son pays est privé de toute garantie pouvant préserver sa liberté, parce qu'il est condamné à s'adresser à des juridictions où règne le chaos et où il se trouve entre les mains de ces juges sans scrupule que sont le cadi, le pacha ou le caïd, qui prononcent des jugements non dans l'esprit de l'équité et de la justice, mais pour bien autre chose que tout marocain questionné à ce sujet vous dira plus spontanément: pour de l'argent. Si on veut s'adonner à un commerce qui rapporte des profits substanciels, si on veut avoir accès rapidement à la grande fortune, le meilleur moyen d'y parvenir est de choisir le métier de juge en milieu marocain.
Cette situation est-elle appelée à durer, et Dieu sait pour combien de temps? La patience des Marocains est à bout; les malversations commises par les juges sont sur toutes les langues, et la justice y perd le caractère sacré qui doit la définir.
Le Maroc a demandé avec insistance et à plusieurs reprises que la réforme de la justice soit soumise à l'étude sur de nouvelles bases qui ne tiendraient compte d'aucun autre critère que celui de l'équité. Les tentatives faites dans ce sens ayant toutes été très en deçà des résultats escomptés, le moment est venu de soumettre la problématique de la justice à une étude sérieuse et d'en confier la conception et l'élaboration à une équipe d'experts soigneusement choisis parmi les spécialistes des questions judiciaires à la fois dans les pays musulmans et dans les pays ayant placé la justice au premier rang de leurs priorités.
Quand allons-nous voir ces juristes à l'oeuvre pour envisager l'avenir avec optimisme et espérer que le Marocain aura enfin, sur le plan judiciaire, une garantie qui se respecte?