Almaghrib - 1ère année - numéro 18 - 28 mai 1937
Suffit-il qu'on nous dise que nous sommes cultivés pour que nous dormions sur nos lauriers, remercions le destin et nous astreignions au silence? Suffit-il qu'on nous dise que nous avons acquis un savoir suffisant pour que nous en soyions convaincus? Suffit-il qu'on nous dise que nous sommes devenus des savants pour que nous croyions détenir les clefs de la connaissance? Quelle dérision! quelle stupidité! y a-t-il au Maroc des personnes cultivées? ou à moitié cultivées? Il n'est pas nécessaire de nous leurrer ou que d'autres essaient de nous tromper. Nous devons bien comprendre que nous sommes les plus éloignés du véritable savoir qui consolide les fondements du renouveau et renforce le bâtiment de la nation. Sinon, où est le médecin? et l'avocat? et l'homme de lettres? et l'ingénieur? et le législateur? et ...? et ...?
Nous demandons la réforme de l'ensemble du programme de l'enseignement et l'envoi de missions estudiantines à l'étranger où elles peuvent acquérir une véritable culture et une éducation solide. Nous souhaitons qu'il soit fait appel à des enseignants de l'Orient arabe. Ce serait faire preuve d'une inconscience totale que de nous contenter de ces palliatifs et de ces statistiques dont on nous rabâche les oreilles. Nous ne bâtissons pas en l'air pour qu'on nous réponde par des chimères. Nous revendiquons ce qui doit faire de nous une nation consciente de ses devoirs et connaissant bien ses droits, une nation qui tire profit de l'expérience des autres, et qui est en même temps capable d'initiatives propres.
Envoyez les étudiants marocains à l'étranger à l'instar de ce qui se fait dans les autres pays et de la pratique que vous avez vous-mêmes instaurée chez nous en envoyant en France les enfants des émigrés qui résident au Maroc. C'est alors que nous pourrons envisager avec optimisme la politique de l'éducation, et concevoir qu'une nouvelle orientation de l'enseignement pourra être productive au Maroc. Ainsi, le gouvernement aura accompli son devoir, sans la moindre difficulté, étant donné les immenses ressources du budget marocain qu'on dépense avec largesse pour les enfants des colonies d'émigrés, et avec la plus grande parcimonie pour les enfants natifs de ce pays.
Nous réclamons un enseignement au vrai sens du terme. Aucun leurre ne pourra avoir raison de notre soif d'instruction, quels que soient les efforts que vous serez amenés à déployer en soignant la présentation des articles de journaux et en les embellissant avec d'admirables illustrations photographiques.Vous devez comprendre que nous distinguons très bien le vrai du faux, et que nous commençons à apprécier nos problèmes sur la base des mêmes critères auxquels vous avez recours pour conduire vos analyses. Aussi toute tentative de nous induire en erreur est-elle dénuée de tout intérêt et ne peut qu'être vouée à l'échec.