Almaghrib - 1ère année - No 67 - 17 septembre 1937
Les milieux marocains ont été étonnés d'apprendre que le congrès de l'Association des Etudiants Musulmans d'Afrique du Nord (A.E.M.N.A.) a été reporté sine die sur ordre du gouvernement. Tout le monde est resté perplexe devant le manque de justification de ce report inattendu, puisque les démarches qui ont été effectuées auprès des autorités concernées ont réussi à les convaincre et à obtenir leur accord pour la tenue de ce congrès. L'A.E.M.N.A. à Paris est allée loin dans les préparatifs; la commission préparatoire à Rabat était fin prête pour ce qui est de l'organisation matérielle. Nous étions ainsi persuadés que le congrès allait avoir lieu grâce à la politique de sagesse dictée par la volonté de reconnaître les droits des Marocains ainsi que par la nécessité de les autoriser à entreprendre tout ce que la loi et l'ordre public n'interdisent pas.
Mais, malgré le report du congrès - et on nous a habitués à comprendre sous ce vocable une annulation pure et simple, comme c'était le cas pendant les années précédentes - nous ne perdons pas espoir qu'au bout du compte, l'autorisation nécessaire sera accordée, parce que le congrès n'est, somme toute, qu'un forum au cours duquel des questions estudiantines sont soulevées et les intérêts des étudiants exposés et débattus. Ce serait faire preuve d'un manque total de maturité que de l'orienter vers les questions politiques ou qu'un groupement ou un particulier cherche à l'exploiter à des fins de propagande qui ne relèvent nullement de son ressort. Il n'est pas davantage question de l'amener à débattre de questions qui ne soient pas préalablement arrêtées et inscrites à l'ordre du jour des travaux du congrès.
Il est probable que le journal qui a lancé ce type de bobards ne croit pas lui-même qu'un congrès s'occupe pendant ses assises de questions non inscrites à l'ordre du jour de son programme. Quelles que soient les allégations de ce journal, il n'est pas un organe préparatoire du congrès. Seules sont responsables de son organisation et de la fixation de son ordre du jour l'A.E.M.N.A. à Paris et la commission préparatoire à Rabat, encore que la mission dévolue à cette commission s'arrête à la séance d'ouverture par la remise des documents en sa possession au bureau élu par l'assemblée des étudiants admis à participer aux travaux du congrès.
L'A.E.M.N.A. et la commission préparatoire ont donné les assurances qu'aucun sujet à caractère politique ne sera abordé et qu'il ne sera pas davantage toléré que le congrès soit exploité à des fins de propagande politique. Il est donc mal à propos d'en reporter l'échéance à cause d'un article tendancieux paru dans un journal. Sinon, quel intérêt ont les étudiants d'Afrique du Nord à jouer les entourloupettes en prétendant que leur congrès s'occupe exclusivement de questions intellectuelles et estudiantines et en s'en servant comme tribune pour y aborder des questions d'ordre politique? Que l'Administration sache que la jeunesse nord africaine ne connaît pas ce genre de comportement et n'admet pas qu'il y ait un manque de concordance entre ses paroles et ses actes. Nous espérons que le gouvernement s'assurera rapidement de celà pour autoriser le congrès à tenir ses assises aux échéances convenues. En agissant ainsi, il fera preuve de pondération; et ce sera pour lui une occasion de faire valoir sa politique réfléchie à la fois sur le plan national et à l'étranger.
Les milieux marocains n'auront plus de quoi s'étonner. Ils auront alors l'assurance qu'ils bénéficient des mêmes autorisations que celles accordées à leurs voisins, puisque le congrès de l'A.E.M.N.A. a pu se réunir à plusieurs reprises en Algérie et en Tunisie. Seul le Maroc n'a pas été traîté à la même enseigne que ces pays frères, et a dû attendre chaque année avec impatience que soit accordée à sa jeunesse l'autorisation de réunir son congrès pour débattre des problèmes auxquels elle se heurte individuellement et collectivement afin d'essayer de leur trouver des solutions adéquates. Sera-t-il encore une fois déçu? L'Administration va-t-elle de nouveau se porter en obstacle entre notre jeunesse et ce à quoi elle aspire? Une telle attitude ne servirait l'intérêt d'aucune des deux parties. Au contraire, elle conduirait à créer entre l'Administration et la masse des étudiants marocains un climat de tension dont nous pouvons nous passer.
Commentaire en marge de l'article ci-dessus:
"Almaghrib" a publié en marge d'une information publiée par le journal "la vigie" (d'obédience coloniale) le commentaire suivant:
Paris -12 septembre 1937. Le ministre des Affaires Etrangères a été informé du report du congrès de l'A.E.M.N.A. qui devait se tenir à Rabat le 15 septembre et ce, sur ordre des autorités du protectorat. Nous nous sommes renseignés auprès de deux personnes spécialisées dans les questions de l'Afrique du Nord, et elles nous ont répondu que le programme du congrès ne comportait rien qui n'ait été autorisé par les autorités du protectorat en ce qui concerne les questions estudiantines, mais il est apparu opportun d'en reporter l'echéance à une date ultérieure, car les esprits étaient encore surchauffés par les évènements de Meknès d'une part et en raison des évènements extérieurs, en particulier ceux dont la mer méditerranée était le théâtre, comme l'ont fait remarquer les milieux politiques parisiens d'autre part. Selon les mêmes sources, Il était à craindre que le rassemblement de jeunes musulmans de différentes contrées n'entraînât des discussions surchauffées ainsi que des troubles susceptibles d'être exploités par des perturbateurs professionnels. Mais ceci ne veut pas dire que le congrès a été définitivement annulé; il se tiendra dès que les esprits se seraient calmés.