Cet article est repris du tome 2, pages 79-80 de l'ouvrage d'Abou Bakr Kadiri sur Saïd Hajji,où il a été publié sans date, Mais l'indication fournie au 3ème paragraphe, selon laquelle la presse au Maroc est de création récente, permet de penser qu'il fait partie des articles ayant suivi le 1er No du journal qui date du 16 avril 1937.
Dans le milieu marocain, l'aspect le plus important sur lequel tous les regards doivent se concentrer, et dont la mise en oeuvre nécessite le déploiement d'un effort soutenu, concerne la diffusion de la liberté d'expression ainsi que la possibilité de critiquer les images périmées de notre société et l'immobilisme qui la caractérise. En effet, notre vie n'est qu'une illusion jalonnée de spectres, et ne produit pas plus que des bagatelles.
Mais, le propre de la critique est précisément de réfuter toutes ces apparences trompeuses et de chasser les mobiles vides de sens qui occupent nos esprits. La critique doit s'étendre aux menus détails de notre vie pour nous apprendre à glorifier la vérité tout en barrant la route à tous les torts, même s'ils se présentent sous un beau visage et essaient de jouer sur la corde de la convoitise pour exploiter la faiblesse de l'homme. Du reste, leur but est de monter sur la chaire de la gloire, ignorant qu'elle est bien chancelante et qu'elle ne s'appuie que sur les apparences d'une ostentation inconsistante et une imposture aussi vaine que perfide.
Nous vivons dans un siècle où seule la réalité des phénomènes est prise en considération. Malgré son apparition récente, la presse nationale se doit de représenter aussi fidèlement que possible cette nouvelle orientation et ouvrir ses colonnes à la critique, afin de dénoncer l'aspect apathique de notre milieu et lutter contre ces images superficielles qui prennent une large part de notre existence. Chaque personne douée d'un tant soit peu de culture doit apporter de l'eau au moulin de la critique avec ce qu'elle constate comme travers de la société et doit exprimer son opinion avec toute la franchise souhaitable. Mais la liberté d'expression doit se limiter au cercle des idées et englober les différents aspects de la vie, y compris ses tendances à l'immobilisme. L'intellectuel marocain doit éviter de s'attaquer aux personnes physiques et doit respecter une certaine éthique à l'occasion des discussions dans lesquelles prennent part des écrivains et des hommes de lettres.
La critique personnifiée tend à faire dévier la discussion du domaine de la réflexion et de l'argumentation à celui des futilités et de la calomnie. La discussion perd tout son intérêt et n'a alors plus de raison d'être. Ceci étant, nous avons le devoir de demander des comptes aux personnes qui nuisent au milieu social, de critiquer aussi bien leurs actes répréhensibles que leurs prétentions inqualifiables, et de mettre fin à leurs chimères, sans entrer dans des détails d'ordre personnel qui ne les concernent qu'elles et ne touchent ni de près ni de loin le corps social dans son ensemble.
Le journal "Almaghrib" continuera de réserver un accueil favorable à tout ce qui lui parvient comme critiques sur le plan des concepts et des idées, et évitera de s'engager dans des discussions à caractère personnel. Il exprime le souhait que ses aimables correspondants - dont tous les articles sont les bienvenus - veuillent bien tenir compte de cette restriction dans leurs écrits.