S.M. le Roi apporte son soutien aux nationalistes qui lui ont réservé un accueil triomphal à Fès. Les Français, troublés par les agitations patriotiques, confisquent les libertés publiques et prennent des mesures répressives à l'encontre des représentants du Mouvement National
(Ce texte fait partie des articles que Saïd Hajji faisait publier par la presse arabe du Moyen-Orient - mi-mai 1934)
Le Mouvement National marocain a connu durant les derniers mois une rapide évolution à laquelle les Français ne s'attendaient nullement. Il est maintenant certain que notre jeune roi démocrate, sur lequel les Marocains ont mis tous leurs espoirs, accorde une grande sollicitude à notre mouvement et lui souhaite de réussir. Dans tous ses déplacements, il est accueilli par une foule enthousiaste et par des vivats qui sortent du fond du coeur.
Au courant de cette semaine, le pays a été le théâtre d'une série d'évènements consécutifs au voyage du sultan à Fès où il avait l'intention de séjourner pendant un mois comme le veut la tradition. Des contacts ont été établis entre les instances patriotiques et le palais royal pour coordonner les préparatifs des festivités qui étaient prévues à cette occasion. Puis, le sultan, sa suite et ses ministres ont quitté la capitale pour Meknès où ils ont été ovationnés par une population en liesse. Une délégation de jeunes lui a offert un exemplaire du Coran qu'il a reçu avec plaisir et satisfaction. Le Roi les a ensuite encouragés par des paroles bienveillantes.
Puis, il a quitté Meknès pour Fès où il a été accueilli à l'entrée de la ville par une délégation de nationalistes. Le cortège royal s'est arrêté, contrairement à ses habitudes, pour que le Roi puisse saluer ceux qui sont venus lui faire cet accueil on ne peut chaleureux. Lorsque le cortège est arrivé en ville, l'enthousiasme populaire était à son comble; les applaudissements fusaient de toutes parts; des ovations et des vivats souhaitaient longue vie au Roi, au Maroc, à l'Islam et à l'arabité. Le souverain répondait aux acclamations par des gestes de mains d'une grande dignité, si bien que la patience des Français était à bout et que le responsable français des services de sécurité a ordonné à ses sbires de s'interposer entre le Roi et le peuple qui l'ovationnait et de tout mettre en oeuvre pour réduire la foule au silence. Mais ils n'y sont pas parvenus malgré les échaufourrées qu'ils ont provoquées avec leur intervention intempestive.
Au lendemain de son arrivée à Fès, S.M. le Roi a reçu dans l'enceinte du palais les représentants des missions diplomatiques et consulaires et des organismes officiels. Le troisième jour, il s'est rendu au mausolée d'Idriss 1er, le fondateur de la première dynastie musulmane au Maroc. Les autorités françaises ont voulu qu'il effectue seul cette visite et que le peuple ne soit pas autorisé à l'y accueillir. Mais les masses populaires ont envahi tous les accès menant au mausolée et ont ainsi déjoué les plans élaborés par l'occupant. Mieux encore, le Roi a traversé les artères bondées de monde sans sa suite, et était accompagné des seuls représentants du Mouvement National. Le peuple redoublait d'acclamations et entonnait des chants patriotiques avec une fougue et une ardeur extraordinaires. Le Roi marchait doucement, répondant à l'accueil qui lui était fait par le sourire et le geste traditionnel du salut des mains. Il est ensuite entré au mausolée où repose Idriss 1er, toujours en compagnie des représentants du Mouvement National et, après la visite des lieux, il s'est recueilli devant le tombeau du fondateur de la dynastie Idrisside, la première à instaurer un Etat musulman au Maroc il y a 12 siècles, et il a prié Dieu de lui accorder sa miséricorde. Puis, il est retourné dans son palais au milieu des festivités et d'une foule pleine d'enthousiasme, pendant que les drapeaux du Maroc flottaient à toutes les portes et sur la devanture de toutes les boutiques.
Les Français n'ont guère apprécié l'accueil chaleureux que la population de Fès a réservé à son souverain. Ils ont tenu le même jour une réunion à 13 heures à la Résidence Générale de France à Rabat. Ont assisté à cette réunion les principaux responsables de l'Administration coloniale. Puis un représentant de la Résidence a quitté Rabat pour Fès où il est arrivé à 15h30. Il s'est aussitôt réuni avec S.M. le Roi. Toutes sortes de rumeurs ont circulé au sujet de cette réunion qui a duré 1h30 et toutes sortes d'extrapolations ont été faites à propos de la position prise par le sultan au cours de cet entretien. Mais nous préférons mettre ces rumeurs et ces extrapolations sur le compte de la fantaisie et les passons ainsi sous silence.
S.M. le Roi est rentré à Rabat, laissant Fès dans un état de fébrilité et d'effervescence. Des protestations se sont élevées contre le comportement inqualifiable de l'autorité coloniale, comportement considéré unanimement comme de très mauvais goût et contraire aux règles les plus élémentaires de la politesse et de la bienséance. Les nationalistes ont adressé une protestation officielle au Président de la République Française, au chef du Gouvernement et au ministre des affaires étrangères, dénonçant la manière dont l'autorité locale s'est comportée avec le Roi du Maroc ainsi que la propagande orchestrée par ces mêmes instances contre les milieux nationalistes.
S.M. le Roi a ensuite convoqué Mohammed Elwazzani, Mekki Naciri et Omar ben Abdeljalil à une réunion sous la présidence du Grand Vizir au palais royal de Rabat. Celui-ci a d'emblée fait part aux personnalités convoquées des remerciements de S.M. le Roi et de la haute estime qu'elle a envers les représentants du Mouvement National pour l'excellent accueil qu'ils lui ont réservé. Le Grand Vizir les a ensuite informés que le Souverain rejetait le jugement porté sur l'action des nationalistes qualifiée d'"enfantine" par les sources mécontentes des évènements qui venaient de se dérouler à Fès. Cette réunion a eu un écho sans précédent dans les milieux marocains, ce qui a alarmé l'autorité française et l'a mise dans une situation peu confortable.
Ceci s'est passé le 14 mai, soit deux jours avant la date anniversaire de l'entrée en vigueur du dahir berbère de triste mémoire. Des tracts ont été distribués dans toutes les régions du Maroc, dénonçant les manoeuvres de l'Administration du protectorat et la politique berbère qu'elle entend imposer aux Marocains. Une grève générale a paralysé tout le pays pendant toute la journée du 16 mai. Des pétitions ont été adressées à S.M. le Roi, au Résident Général de France à Rabat qui se trouvait à Paris ainsi qu'au Président du Conseil et au Ministre des Affaires Etrangères, protestant vigoureusement contre la politique berbère et demandant que les autorités du protectorat renoncent à toute tentative de mise à exécution des clauses de ce dahir. Les populations du Maroc se sont rendues à la mi-journée à la mosquée où des discours ont été prononcés invitant les fidèles à prier pour que le Seigneur les aide à venir à bout de la tyrannie de leurs oppresseurs. Les mosquées ont été assiégées par l'armée, les manifestations interdites et les communications inter-villes rendues impossibles.