Extraits du bloc-notes de Saïd Hajji - Eté 1934
Pendant que Saïd Hajji était en train de poursuivre ses études à Damas, il a reçu deux lettres, l'une d'Abou Bakr Kadiri, l'autre de Mohamed Hassar, l'informant du projet d'élaboration d'un cahier de revendications soumis par ce dernier à l'étude des responsables du Mouvement National. Il s'agit d'un document qui comporte plusieurs points que l'auteur du projet propose d'adopter comme base de travail pour établir une stratégie d'action nationale en même temps qu'un programme visant des objectifs pratiques que nous devons nous engager à réaliser.
Abou Bakr Kadiri a écrit dans sa lettre que
"la décision a été prise de mettre au point un plan de réformes qui nécessite une mobilisation de tous les efforts pour en assurer la concrétisation".
De son côté, l'auteur du projet a écrit dans sa lettre:
"l'administration française ne nous prend pas au sérieux parce que nous n'avons ni programme ni revendications à faire valoir, et que notre seul souci est de fomenter des troubles et créer l'anarchie.Aussi ai-je pensé à l'établissement d'un canevas qui pourrait servir de base de travail pour la mise au point d'un cahier de doléances dans lequel seraient consignées les revendications du peuple marocain ainsi que d'un programme d'action que nous essaierons de mettre en pratique ..."
On peut lire dans le bloc-notes de Saïd ce qui suit:
"Nos amis Mohammed Hassar et Abou Bakr Kadiri nous ont écrit à Damas pour nous annoncer le projet présenté par Mohammed Hassar d'élaborer un programme d'action général du Mouvement National, regroupant toutes les doléances marocaines. A mon retour à Rabat pendant les vacances d'été 1933, Kadiri m'a communiqué les détails du projet; et j'ai pu apprendre par ailleurs qu'une délégation de Salé l'avait soumis à notre ami Ahmed Elyazidi. Celui-ci m'a entretenu lui-aussi du projet et m'a fait savoir que la branche de Fès du Mouvement National était en train de mûrir cette idée, mais souhaitait que son étude se fît dans le secret le plus absolu. Pour lui garantir un caractère ultra confidentiel, ils m'ont proposé de m'adjoindre à un comité restreint composé de Haj Omar ben Abdeljalil, Mohammed Elyazidi, Haj Hassan Bouâyad et moi-même. Ce comité devait entâmer ses travaux après consultation d'Allal El Fassi, Mohammed ben Hassan Elwazzani et Mohammed Ghazi quand celui-ci se trouvait de passage à Rabat, avant de regagner son domicile à Safi. Le comité a commencé à se réunir deux fois par jour au domicile de Mohammed Elyazidi à Rabat de 9h à midi, puis de 14h à 19h. Les réunions ont duré 40 jours d'affilée et sans interruption, et ont été instructives et fructueuses. Nous avons étudié tous les secteurs qui avaient besoin de réformes, et approfondi l'analyse d'un certain nombre de questions ponctuelles. Nous avons dû recourir à de nombreuses lectures. Nous nous sommes livrés à des discussions au sujet de chaque point que nous abordions. Nous avons consulté des personnes en dehors de notre comité qui maîtrisaient les problèmes dans lesquels le Maroc se débattait, tout en respectant notre engagement de tenir secret le lieu et l'objet de nos réunions. Aux termes des 40 jours qu'il nous a fallus pour accomplir le travail qui nous a été imparti, "les revendications marocaines" étaient prêtes dans l'ensemble, même si elles nécessitaient encore quelques retouches et certaines modifications de détail. A la fin de la saison d'été, l'étude des revendications a pris fin. Celles-ci n'ont été réexaminées qu'après le choc de l'été 1934 consécutif aux évènements provoqués par la suspension de la visite royale à Fès et le retour inopiné de Mohammed V à Rabat.
Lorsque je suis rentré de Syrie en 1934, Mohammed Elyazidi m'a informé que les revendications que nous avons établies l'été dernier ont été portées à la connaissance de Mekki Naciri et lui ont été présentées comme étant un premier jet encore à l'état de projet qu'Omar ben Abdeljalil et lui-méme se seraient entraidés à élaborer pour le soumettre à l'étude et ce, afin de ne pas froisser la susceptibilité de Mekki Naciri qui ne comprendrait pas pourquoi nous n'avons pas fait appel à lui pour faire partie du comité restreint. Naciri a étudié sérieusement le projet soumis à son appréciation. Il y a apporté quelques modifications et ajouté de nouvelles données aux revendications qui y étaient répertoriées, si bien que le texte ainsi remanié a gagné en cohérence et sa structure a été mieux renforcée. Lorsque je l'ai rencontré par la suite, il m'a informé du projet dont j'étais censé ignorer l'existence. Il m'en a dit le plus grand bien et n'a pas tari d'éloges à son propos. J'ai fait semblant de ne pas être au courant et montré une grande admiration pour le travail accompli".