présenté au nom de la branche de Rabat-Salé du Mouvement National à l'émissaire du Parti Socialiste Français après les évènements consécutifs à la publication du "Pacte National" en 1937 et la vague de répression qui s'est abattue sur le Parti National, au cours de laquelle le leader Allal El Fassi a été exilé pour 9 ans au Gabon.

Monsieur,

Les défenseurs de la question franco-marocaine vous souhaitent la bienvenue et saisissent l'occasion de votre voyage d'information pour vous exprimer ainsi qu'aux membres du parti socialiste en France et au Maroc leur profonde satisfaction du soutien moral que vous accordez au renforcement des liens entre les Marocains et les Français sur la base d'une confiance réciproque et d'une volonté de coopération franche et sincère. Votre visite aux différentes régions de notre pays et le souci de vous enquérir de la situation qui y règne afin de mieux comprendre les évènements qui s'y sont déroulés et d'en étudier les causes in situ en prenant les contacts nécessaires avec les représentants du peuple sont le meilleur service que vous puissiez rendre à votre parti et à notre cause commune. Si tous les émissaires français accordaient à la question marocaine l'intérêt que vous lui portez et entraient en contact direct avec le peuple pour écouter ses doléances - comme vous le faites -, la tension qui existe dans les rapports franco-marocains se serait dissipée, les remous se seraient apaisés, le peuple marocain aurait connu un allègement de ses souffrances et de ses crises matérielles et morales, et il aurait été mis fin aux allégations mensongères propagées par ceux qui cherchent toujours à créer un climat malsain dont ils sont les seuls à tirer profit.

La question marocaine au service de laquelle les patriotes sincères de ce pays et les hommes libres de la France républicaine se sont mobilisés, est claire et ne souffre aucune équivoque. Mais ses détracteurs saisissent toutes les occasions pour donner libre cours aux allégations de leur invention et ne ménagent aucun effort pour déformer la réalité de nos revendications dans le domaine du savoir et de l'aspiration au progrès, afin de sortir la nation marocaine de son inertie et la conduire vers la vie moderne et civilisée comme la France s'y est engagée dans le cadre de sa mission protectrice dans ce pays. Les défenseurs de la cause marocaine demandent avec insistance que la priorité soit accordée à l'enseignement et que sa diffusion soit confiée soit au secteur public soit au secteur privé. Ils soutiennent la création d'une presse libre pouvant se faire l'écho des souffrances du peuple qui se trouve à la merci de n'importe quel agent d'autorité. Ils exigent l'adaptation de la justice à l'esprit d'équité de notre époque; et formulent le souhait d'obtenir les autorisations nécessaires pour créer des associations et développer l'esprit coopératif au sein de la société marocaine.

Telles sont les principales revendications du peuple marocain à l'heure actuelle. Elles sont combattues par les forces de la réaction qui propagent le bruit que le Mouvement National est en train d'ourdir un complot et lui prêtent l'intention de vouloir chasser les Français du Maroc. Au lieu que le gouvernement pense aux moyens à mettre en oeuvre pour donner suite aux revendications légitimes soumises à son approbation et apaiser l'état de tension dans lequel vit le pays, il a choisi la voie de la confrontation en faisant appel à l'armée et à la police pour s'en prendre à une population desarmée avec ordre de tirer à vue sur les manifestants dont un nombre important a été jeté en prison où ils ont été soumis à la torture du fouet et y ont subi les pires des humiliations. Les autorités pensaient qu'avec de telles méthodes elles arriveraient à bout de la volonté de vivre qui a gagné le peuple marocain dans sa globalité. Mais ni ces agissements hostiles ni ces mesures contraires à l'équité et à l'esprit de justice n'ont eu raison de la ferme détermination du peuple dont l'attachement à la cause nationale ne faisait que se renforcer, et de la lutte qu'il mène pour faire aboutir ses revendications légitimes qui n'a fait que s'intensifier et prendre une plus grande envergure. Le peuple marocain attend le jour où le droit et la justice finiront par triompher et la politique du gouvernement changer de cours pour s'engager dans la voie de la concertation, non pas avec ceux qui ont des affaires personnelles sordides à défendre, mais avec les vrais patriotes connus pour leur dévotion à la cause de leur pays. Ces agissements injustes nous inquiètent, mais nous ne craignons pas tant leurs conséquences au niveau des souffrances qu'ils sont susceptibles de nous faire endurer que l'impact négatif qu'ils peuvent exercer sur la renommée de la France auprès des masses populaires dont le désespoir prendra plus d'ampleur et entraînera un regain de haine à l'encontre des gouvernants de ce pays qui ne doivent leur autorité qu'aux représentants de la puissance protectrice. S'il n'y avait pas en face de ces réactionnaires un courant représenté par les Français épris de liberté, qui ont pris fait et cause pour la question marocaine et la défendent avec chaleur et conviction, le désespoir aura gagné les coeurs de tous les Marocains, et il aurait été quasiment impossible de trouver un jour un terrain d'entente entre nos deux communautés.

C'est donc sur cette catégorie de Français libres qui oeuvrent dans le but d'instaurer un climat de bonnes relations entre nos deux pays que nous plaçons notre confiance à la fois pour leur compréhension de la justesse de notre cause et pour leur disponibilité de nous rendre justice, quelle que soit la résistance des forces réactionnaires qui étouffent notre voix et ne cessent de faire pression sur nous.