La revue "Assalam" de Tétouan - 1ère année - No 6 - 1933.

L'Egypte détient de nos jours le leadership des lettres arabes grâce au dynamisme et à l'importance de sa production qui a marqué une ère de véritable renaissance littéraire. Nous avons intérêt, nous les jeunes du Maroc, à approfondir notre connaissance de cette période et à soumettre ses différentes écoles à une étude qui nous permettrait d'insuffler dans notre environnement une certaine énergie et une meilleure compréhension de ce que renferme la vie littéraire, dans ses vastes dimensions, de beauté et de lumière.

Ce mois-ci, je vais entretenir le lecteur d'un homme de lettres, qui porte l'étendard du renouveau productif, qui s'est érigé en une école parmi les écoles littéraires qui ont fait faire de grands progrès à la littérature arabe, en la faisant pénétrer au plus profond de ce que la vie contient comme sources d'intellect et reflète comme modèles d'énergie, qui caractérisent toute grande âme pourvue d'une imagination créatrice et d'un esprit constamment en éveil. Cet homme de lettres est le grand écrivain Abbas Mahmoud Al Akkad.

Al Akkad est un nom illustre. Il est le produit des théories de la philosophie moderne, et représente la tendance sensualiste dans le domaine littéraire. Je ne sais comment présenter au lecteur un homme d'une telle envergure, ni comment aborder les différents contours de son talent et les multiples facettes de son génie. Les mots sont souvent incapables de rendre ce que l'on ressent au fond de soi-même. On se trouve dans l'incapacité d'exprimer ses sentiments, que ce soit oralement ou en voulant en donner une description écrite. Ses poèmes et ses causeries suscitent une profonde réflexion qui peut durer de longues heures. On oublie, sous son ombre allongée, les théories superficielles qui ne mènent à aucun but si ce n'est à celui de se bourrer la tête avec des enseignements qu'on apprend sans bien les digérer.

Al Akkad est un homme de lettres d'exception, qui subjugue les esprits cultivés. Il répand sur vous, pendant que vous le lisez, un trait de lumière qui dissipe l'obscurité de la nuit. La vie vous sourit et se montre à vous sous son visage le plus grâcieux. Chacune de vos heures prend les proportions d'une journée et chacun de vos jours celles de tout un mois, parce qu'ils émanent de ce que l'âme humaine, dans ses intimes profondeurs, contient de tendances fortes et résolues. En parcourant un de ses poèmes, vous vous détachez de toutes les contingences étroites qui marquent le monde qui vous entoure pour embrasser du regard les vastes horizons de l'univers. Dès que vous commencez à lire le poème qu'il a intitulé "l'univers et la vie", vous vous rendez compte qu'il vous invite à réfléchir sur la question de savoir qui de l'univers ou de la vie humaine prédomine. Si la vie ne tend pas vers un objectif lointain, qui soit en harmonie avec l'objectif vers lequel tend l'univers dans son ensemble, elle sera à coup sûr bien moins consistante pour lui être comparée ou, a fortiori, pour le concurrencer dans l'échelle des valeurs.

Dans cet ordre d'idées, nous aurions pu nous contenter de notre seul globe terrestre ou d'un seul système parmi les innombrables systèmes solaires; et si la vie humaine est la seule corde sensible dans l'existence, pourquoi les sensations n'existent-elles pas en quantités suffisantes pour bien connaître le sens de la vie? Pourquoi n'y a-t-il pas une concordance ou une possibilité de rapprochement entre celui qui cherche à connaître et le monde connu? Ne doit-on pas en déduire qu'il faut impérativement qu'il y ait dans l'existence un pouvoir qui la fasse connaître de manière appropriée?

Cet homme de lettres qui se distingue par la profondeur de ses pensées est un autodidacte au sens noble du terme. Nous allons lui consacrer une présentation, si on peut l'appeler ainsi, pour mettre en exergue son esprit et son style pendant la période de son enfance et de sa vie scolaire et faire ressortir les facteurs qui ont développé chez lui des dispositions réflectives dans le domaine littéraire, au point où il a conquis une place privilégiée parmi les leaders les plus éminents. Ecoutons le message qu'il a adressé aux lecteurs de notre revue "Assalam":

"Je trouvais chez mon père une très grande quantité de livres tels que "Almustadraf" (la finesse parmi les arts), "Aâlam Alnas" (Les hommes illustres), qui traîte de ce qui est arrivé aux Baramikas avec les Beni Abbas. Puis, je me suis plongé dans "les mille et une nuits"; et cette lecture a éveillé en moi l'inspiration poétique, puisque c'était à partir de ce moment que j'ai commencé à composer des vers sur le tempérament combatif, imitant en celà les héros du récit. Pendant que j'étais encore en classe, nous formions des armées d'Egyptiens, d'Anglais et de Derviches, et je n'avais pas de cesse que d'exprimer les engagements des uns et des autres avec des vers qui imitaient les mille et une nuits, et dont je me gargarisais. C'était là un des premiers stimulants qui m'ont encouragé à composer des poèmes; et comme je tenais à vanter les matières que j'apprenais pendant les premières années scolaires, j'ai composé des vers dans ce sens, dont je vous livre quelques uns, à titre d'exemple:"

"Le calcul a beaucoup d'avantages notoires
Grâce à lui l'homme acquiert un surcroît de savoir
De toutes les sciences humaines, la grammaire
Est un pont qui relie l'obscur aux teintes claires
La géographie, elle, indique aux jeunes esprits
Les villes et le voies d'eau, leurs courants et leurs lits
Apprenez le Coran, retenez sa leçon
De la délivrance du mal c'est la rançon"

"Lorsque mon père s'est habitué à voir mes penchants pour la lecture et mes goûts pour la poésie, il m'a fait suivre les cours du grand savant d'Assouan, le cheikh Ahmed El Jeddani qui enseignait les écrits en prose rimée d'Al Hariri, de leur nom arabe "Al Maqamat", et engageait des discussions sur de nombreux poèmes avec les hommes de lettres, les enseignants et les magistrats du chraâ. J'ai pu ainsi tirer le maximum de profits de mon assiduité aux cours qu'il donnait. Tout ceci a contribué à accroître mon intérêt pour les disciplines littéraires. Mais, je me suis limité, dans un premier stade, à la littérature arabe jusqu'au jour où des touristes anglais d'un niveau de culture élevé nous ont rendu visite à l'école et que nous leur avons rendu la politesse en leur rendant à notre tour visite dans leur hôtel de séjour. C'est alors qu'ils nous ont demandé de leur donner notre adresse pour nous envoyer des ouvrages sur la littérature anglaise, à titre de cadeaux-souvenirs. J'ai eu droit, pour ma part, à un livre sur la révolution française du grand écrivain Carlyle, sans savoir pourquoi ils ont choisi pour moi ce livre écrit dans une langue bien au dessus du niveau d'enseignement que j'avais reçu à l'époque, si bien que je ne l'ai lu que quelques années plus tard. Mais cet ouvrage a eu l'avantage d'attirer mon attention sur la lecture de textes anglais, ce que je n'ai pas tardé à faire, et j'en ai tiré un très grand profit que je ne suis pas prêt d'oublier".

Al Akkad n'a pas suivi jusqu'au bout le cycle normal de l'enseignement classique puisque, dès sa sortie de l'école primaire de sa ville d'Assouan, en 1904, les seules possibilités qui s'offraient à lui étaient des cours d'électricité et de sciences naturelles auxquels il a assisté à l'école des Industries et des Beaux Arts. Puis, il a exercé le métier d'enseignant avant de se faire recruter dans des postes officiels et de se démettre tour à tour de toutes les fonctions qu'il occupait, "par répulsion de leurs lourdes obligations comparées à la modicité de leurs rapports", selon ses propres commentaires. Je lui ai demandé s'il ambitionnait, pendant qu'il était encore enfant, cette auréole de littérature qu'il porte actuellement. Sa réponse ne s'est pas laissée attendre puisqu'aussitôt il m'a répliqué: "Mes ambitions n'avaient aucune limite". N'est-ce pas là une force de caractère qui s'est manifestée chez lui dès l'enfance et qui ne l'a pas trahi pendant toute la période qui l'a conduit jusqu'à l'apogée de son génie?

Je souhaiterais maintenant vous entretenir d'Al Akkad en tant que leader d'une des écoles de la littérature arabe contemporaine à la période de la renaissance, et je vais essayer d'apporter quelques éclaircissements sur le double plan idéologique et méthodologique.

"Mon grand souci", m-a-t-il dit, "est d'habituer les orientaux à comprendre le sens des arts et de la beauté. Parmi les choses essentielles de la vie, il y a l'aspiration à un idéal, faute de quoi aucune nation ne peut prétendre à une quelconque évolution. Je m'explique: les nations qui se limitent à revendiquer la satisfaction de leurs intérêts, sont conduites par l'effet d'une contrainte matérielle, à l'instar de l'affamé qui mendie pour se remplir le ventre ou du pauvre qui se promène à moitié nu et qui cherche à dissimuler sa nudité. Celles, au contraire, qui célèbrent les arts et apprécient les avantages de la beauté sur le double plan spirituel et sensuel, ne se laissent pas guider par les servitudes de la nécessité, mais conservent la maîtrise du choix et de la distinction, et ceci constitue un des éléments fondamentaux de la liberté. Une nation ne peut réaliser ses aspirations à la liberté politique qu'après avoir connu la liberté dans ses manifestations artistiques".

Avec cette profonde réflexion, pleine de force et de vitalité, Al Akkad m'a répondu à la question que je lui ai posée à propos de la mission qu'il se proposait d'accomplir pour ses compatriotes de culture arabe. Je venais à peine de commencer à formuler ma question que notre grand écrivain s'est élancé dans une démonstration rigoureuse de ce qu'il ressentait au fond de son coeur débordant d'espoir et ce, sans s'arrêter, comme s'il avait préparé sa réponse depuis fort longtemps. J'avais l'impression que l'homme était réduit à une pensée qui exposait ses facettes intellectuelles et approfondissait sa réflexion sur le fin fond de l'existence pour remplir la mission idéale qu'elle s'était fixée, en toute confiance et détermination, et ouvrir la voie de la lumière, du bien et de la beauté devant des individus que la matière a asservis à tel point que les appréhensions imaginaires ont fini par avoir raison d'eux. Ils se sentent saisis de frayeur devant n'importe quel fétiche et reculent en présence de n'importe quel délire hallucinatoire, ne croyant qu'à ce qui est palpable et ne célébrant dans les arts ni la beauté sacrée ni l'âme éternelle.

Al Akkad est une source lumineuse de la pensée et de l'esprit. Il nous éclaire le chemin à suivre, à nous les orientaux qui végétons dans une nuit noire. Il nous débarrasse de ces croyances qui nous ont éloignés de ce que la vie renferme de beau, depuis que nous avons capitulé devant les considérations d'ordre matériel qui dominent notre existence et la soumettent à des critères de mesure d'une rigoureuse exactitude. En réalité, Al Akkad a rempli sa mission comme il l'entendait. Aucun intellectuel chargé d'une mission littéraire n'a, à notre connaissance, réussi en si peu de temps à mûrir sa pensée, et à en recueillir les fruits, alors qu'il avait à peine dépassé de quelques années la quarantaine.

La littérature arabe contemporaine a connu une extraordinaire évolution après la guerre mondiale. Elle a choisi d'être plus près de la réalité de la vie et a connu un nouveau style d'écriture grâce au talent d'hommes de lettres égyptiens, avec à leur tête Al Akkad, Taha Houssain et Haykal. Nous pouvons saisir la pensée akkadienne d'une manière précise lorsque nous la rapprochons de la culture anglo-saxonne et que nous analysons les caractéristiques de cette culture avec les aspects esthétiques qu'elle présente, pour adapter ses critères aux nôtres et faire de ses lumières celles de notre goût. Al Akkad est très versé dans la littérature anglaise, la considérant comme la plus authentique de toutes les littératures européennes. Il vous entretient sur ce sujet en étant pleinement confiant de ses idées et soutient que la littérature anglaise est, selon lui, la meilleure de toutes les littératures occidentales et ce, malgré l'horreur qu'inspire le colonialisme britannique qui est le pire de tous. En lui posant la question de savoir si la littérature anglo-saxonne est celle qui représente le mieux les sentiments humains, il n'hésite pas à répondre sur un ton empreint d'une grande honnêteté:

"oui, elle les reflète à la perfection, parce qu'elle représente une nation qui sait allier les capacités matérielles à l'étendue de l'imagination créatrice, et ce sont là deux éléments indispensables à la connaissance de la vie, que ce soit sur le plan du réel ou de celui de l'imaginaire. Les Anglais sont tels que les ont connus ceux qui les ont fréquentés et qui ont étudié leur littérature, un peuple à la fois pragmatique et imaginatif".

Passons maintenant au style de l'école akkadienne. Le style est le reflet le plus marquant de la littérature et la meilleure preuve de la cohésion des idées avec la pensée de l'auteur. Al Akkad ne s'efforce pas à mettre en évidence uniquement le résultat de ses cogitations. Pour lui, le style fait partie intégrante de l'idée. Le génie et la maîtrise de l'art d'écrire ne se manifestent que si l'on domine parfaitement le mode de l'écriture et qu'on ne s'occupe pas des idées sans tenir compte du style, ni du style au détriment des idées qu'on veut exprimer. Les deux doivent aller de pair; et ce n'est qu'à cette condition que la personnalité de l'homme de lettres s'affirme et ses capacités intellectuelles peuvent être mises en valeur.

Après une étude approfondie de l'oeuvre en prose et en vers d'Al Akkad, je suis arrivé à la conclusion que son style ne s'embarrassait guère des états d'âme, et qu'il n'a jamais placé les sentiments qu'il ressentait au premier plan de ses préoccupations, ni mis en exergue les émotions qu'il éprouvait dans sa production littéraire. Ses écrits ont toujours été le fruit d'une pensée riche de substance. Il percevait les images de la vie dans les profondeurs d'une mûre réflexion. La fertilité de sa force productive a conquis nombre de ceux qui s'imaginaient que la littérature se limitait au côté sentimental, que je ne saurais qualifier autrement que par sa représentatioon de la naïveté juvénile de l'homme sans commune mesure avec les facultés de discernement qui caractérisent l'âge adulte. Certes, le style d'Al Akkad est qualifié par certains de pompeux et est considéré comme émaillé de solides constructions syntaxiques, bâti sur une grande force de raisonnement avec une implacable suite dans les idées, et dépourvu des longueurs inutiles. Libre à eux de le qualifier ainsi. Il n'en demeure pas moins qu'il est pratiquement impossible de décrire par des mots le style d'Al Akkad au lecteur, sans que celui-ci ne soit en mesure de partager certaines affinités électives avec ce type d'écriture à l'instar de celles qui s'établissent entre l'esprit humain et sa raison d'être. En vers comme en prose, les écrits d'Al Akkad renforcent notre appartenance à l'existence, nous aident à traverser la phase juvénile de la littérature pour nous abreuver des sources limpides et du nectar exquis de la littérature de l'esprit.

Il n'est pas difficile de toucher du doigt les avantages de la méthode akkadienne dans tout ce que l'auteur a écrit. Il est clair et explicite, non pas sur le plan du vocabulaire et des procédés stylistiques, mais dans l'énoncé des idées et la cohésion de leur conception. Nous n'avons aucune peine à nous acheminer du début de ses articles ou de ses ouvrages jusqu'à la fin. Nous sommes émerveillés par l'unité d'ensemble qui nous ravit une partie de notre temps et que nous percevons en filigrane dans tout ce que le grand écrivain trace sur les feuilles sourdes qui se mettent à parler avec une éloquence plus expressive que celle des esprits éclairés.

Sur le plan de la critique, son style est d'une audace qui doit sa hardiesse à la force de son esprit et à la confiance en lui-même. Ecoutons le jugement qu'il porte sur ses interventions dans les discussions:

"Ma méthode dans tout débat contradictoire consiste à étaler d'abord les arguments les plus percutants pour démolir les thèses adverses. Je présente ensuite une série de preuves de moindre importance et je les fais suivre d'une argumentation plus solide. Une telle méthode présente l'avantage de surprendre mes interlocuteurs, mais ne manque pas, comme l'expérience l'a démontré, d'exercer un impact décisif sur la discussion".

Revenons à la renaissance culturelle arabe, qui a connu l'émergence d'une de ses plus fortes écoles littéraires sous la conduite de notre grand écrivain, pour voir comment celui-ci apprécie cette période de l'histoire de notre littérature et avec quelle vision de l'esprit il se reflète en elle, comment il juge ses différentes étapes avec leurs forces et leurs faiblesses. Est-ce que le renouveau littéraire arabe s'est résolument engagé sur le chemin de la maturité? Notre penseur n'a-t-il pas des observations à formuler au sujet de la voie qu'il a suivie? A toutes ces questions Al Akkad m'a fourni la réponse suivante que j'ai prise sous sa dictée:

"Je pense que cette renaissance s'est tracée comme objectif d'atteindre à la perfection et s'est effectivement engagée dans cette voie. Mais ce que je lui ai reproché jusqu'à présent, c'est le manque de diversité et l'étroitesse du cercle dans lequel elle se mouvait. Ceci est une grave erreur dont j'espère qu'elle sera corrigée lorsque l'Orient recouvrera la part de progrès et d'ouverture sur de nouveaux horizons de la vie dont il est actuellement lésé".

Par "manque de diversité" et "étroitesse de cercle" Al Akkad veut dire que l'homme de lettres arabe contemporain a tendance à exercer ses aptitudes dans tous les domaines de la littérature, alors que l'auteur le plus génial manque quelquefois d'expédient pour épuiser dans un seul domaine toutes les ressources de son imagination.

Al Moutanabbi, Ibn Roumi et Al Maârri sont tous les trois de très grands poètes; mais chacun d'eux s'est spécialisé dans un domaine où il a particulièrement brillé. On le voit intimement lié à ce domaine, lui dédiant toute sa réflexion, pendant que nos poètes d'aujourd'hui, tels que Chaouki, Hafid Ibrahim et leurs acolytes, jouent sur une corde unique et émettent des airs identiques. On ne trouve dans les poèmes de Chaouki aucune idée maîtresse comme les idées forces qu'on relève dans les poèmes d'Al Moutanabbi, ou l'amour de la vie et la passion qu'on y porte qu'on décèle dans l'oeuvre poétique d'Ibn Roumi ou encore la profonde pensée philosophique mêlée d'un vif pessimisme qu'on observe dans les poèmes d'Al Maârri. Ces poètes anciens puisaient leur inspiration dans leur expérience propre et non dans les livres, si bien que leurs poèmes exprimaient une profonde idée de la vie, contrairement à nos auteurs contemporains dont la production poétique s'inspire très largement de leurs connaissances livresques, et qui s'enferment entre leurs quatre murs pour écrire à la manière de ceux qui les ont précédés, ne se donnant aucune peine de remuer des idées nouvelles et encore moins d'approfondir une quelconque réflexion.

Ainsi, notre littérature contemporaine s'apparente à une suite d'images qui se ressemblent, interfèrent les unes dans les autres, avec des contours étroits. Aucun auteur ne s'y occupe d'un aspect parmi les innombrables facettes de la vie pour en exécuter la description avec une réelle maestria et dominer son sujet au niveau du développement et de l'analyse. Comment les nations arabes peuvent-elles unifier leurs codes de règles littéraires et leurs critères artistiques? Comment établir entre elles un lien solide pour qu'elles accomplissent leur devoir vis-à-vis de l'esprit humain, comme celà a été le cas par le passé? Quel est le moyen le plus efficace pour aboutir à ce résultat et amener les tenants du rapprochement entre les différentes parties du monde arabe à prendre fait et cause pour cet objectif? C'est à cette question qu'Al Akkad s'est donné la peine de répondre, et il l'a fait en ces termes:

"L'unique moyen matériel est le développement de l'imprimerie. Un effort doit être fait pour faciliter les conditions d'édition et de distribution dans toutes les parties du monde arabe, de façon à ce que l'éditeur du Caire ait la conviction qu'il écrit pour le lecteur du Maroc, de l'Iraq ou de toute autre contrée de ce monde de l'arabité, et qu'en plus de la satisfaction morale et intellectuelle, il pourra réaliser un bénéfice garanti dans chacun de ces pays. En résumé, la promotion de l'édition et de la distribution est le moyen le plus important auquel nous devrons avoir recours si nous voulons rapprocher les différentes contrées du monde arabe les unes des autres. Il serait en outre indiqué, dans une phase ultérieure, d'organiser des colloques littéraires et scientifiques de temps à autre dans les différentes capitales arabes pour permettre aux hommes de lettres et de culture d'y assister pour y confronter leurs opinions et exposer l'état de progrès accompli par le pays qu'ils représentent dans le processus de la civilisation moderne. Il sera ainsi procédé à un échange d'expériences ainsi qu'à une harmonisation des modes de pensée".

Il me semble judicieux que je m'arrête à ce niveau de mon exposé pour renvoyer le lecteur à l'admirable production littéraire de cet écrivain hors pair, afin qu'il puisse l'étudier attentivement et en goûter la beauté et l'élévation des idées. Selon l'expression de l'auteur d'un article paru dans la revue "Al Muqtataf",

"chaque mot formulé par Al Akkad a la valeur d'un nombre naturel; et il est pour le moins miraculeux que cette précision arithmétique soit versée dans un moule de beauté considérée comme une manifestation idéale d'un art absolu".