"Al Taqafa Almaghribiya" - 2ème année - No 1 - 1er septembre 1942

Cinq mois seulement se sont écoulés depuis la disparition de notre regretté frère Saïd Hajji, et voilà la revue "Al Taqafa Almaghribiya" qui fait sa réapparition, après avoir été presque enterrée dans la beauté de sa jeunesse et le charme de sa grâce. Le frère Saïd s'est éteint, mais le devoir appelle implacablement à respecter le rendez-vous que nous avons pris de gérer ensemble ce projet culturel après avoir achevé d'établir les fondements du quotidien"Almaghrib". Par rapport à ce projet, nous étions deux parties d'un même coeur qui bat pour une cause unique et un objectif commun, à savoir la volonté de nous mettre au service de ce pays. Le compagnon de route est parti, nous laissant en face de plusieurs voies. Notre espoir a été meurtri, notre confiance en l'avenir ébranlée; le désespoir a gagné le coeur de celui pour qui le succès ne faisait aucun doute, et à quel moment! à un moment où il supervisait la croisée des chemins. Trois voies s'offraient devant nous, parmi lesquelles il fallait choisir celle qui engageait vers la bonne direction et se garder d'opter pour celles qui risquaient de nous amener à faire fausse route. Mais maintenant que la corde de secours s'étend sous mes yeux, je distingue nettement le chemin accessible et ceux qu'il faudra éviter.

Une des voies est très large et est bordée à droite et à gauche de grands arbres qui lui procurent de l'ombrage. Seules y ont accès les voitures de repos et d'agrément.

La seconde voie, jalonnée de pentes douces et de détours romantiques, incite à s'en rapporter à autrui pour tout ce qu'on entreprend. Certains y trouvent de quoi s'abreuver, se rassasier et se laisser guider dans la bonne voie par les anges gardiens.

La troisième voie - celle que nous avons choisie pour notre orientation - est inaccessible et hérissée de difficultés. Le regard n'y rencontre que des épines, des rochers et des ravins. Mais elle contient des chemins que ceux qui ont des visées lointaines ont viabilisés. On y trouve les traces de tous ceux qui se sont meurtri les mains et les pieds pour y avoir fourni un effort physique et moral surhumain.

En prenant la responsabilité de ce projet, nous avons opté pour la voie tracée par ces esprits ambitieux, malgré les peines que nous pouvons endurer dans l'accomplissement de la tâche qui nous incombe. Ceux-là sont nos guides qui nous prêtent main forte aujourd'hui grâce à l'appui qu'ils ont apporté à cette revue avec le fruit de leurs idées et la production de leurs plumes. Ce sont eux les pionniers et les fers de lance qui ont permis à ce projet d'aller de l'avant pour atteindre l'objectif d'être au service des lettres et de la culture marocaines.

Telle est l'orientation que nous avons donnée à la revue "Al Taqafa Almaghribiya". Et maintenant, Saïd, dors en paix. Nous te promettons de rester fidèles à nos engagements. Et voici que nous sommes sur la voie qui nous garantit d'être au service de l'objectif littéraire et culturel que tu as tracé. Nous avons - nous deux - essayé de suivre cette voie qui demeurera, après ton départ, une cible du regard et un plaisir pour l'esprit. Tu peux dormir la conscience tranquille et en toute sérénité. Quelles que soient les circonstances, je serai parmi les intrépides qui n'ont pas peur du sacrifice.

Ahmed ben Ghabrit

La revue "Al Taqafa Almaghribiya"

La revue culturelle "Al Taqafa Almaghribiya" reprend sa parution en septembre 1942 après une éclipse de six mois consécutive à la disparition de son fondateur Saïd Hajji.