Introduction à l'article ci-dessous
Le quotidien marocain de langue arabe "Al Ahdat Alwataniyah" a publié dans son numéro 1168 du 3 avril 2002 un article sur le soixantenaire de la disparition de Saïd Hajji que le journaliste et écrivain Abdallatif Jabrou a presenté en ces termes:
"La ville de Salé a fourni au Mouvement National marocain un nombre impressionnant d'hommes de valeur tels que le patriote Abou Bakr Kadiri, le défunt Abdarrahim Bouabid et le regretté Saïd Hajji qui nous a quittés pour l'autre monde au mois de mars 1942, soit trente ans après l'entrée en vigueur de l'Acte du Protectorat imposé au Maroc."
"La naissance de Saïd Hajji qui remontait au 29 février 1912 coïncidait pratiquement avec l'avènement du Traité de Fès qui datait de la même époque; et sa disparition prématurée a été considérée comme une grande perte pour le Maroc, eu égard au rôle qu'il a joué dans nombre de domaines dans lesquels le Mouvement National commençait à peser de tout son poids grâce aux hommes qui militaient dans ses rangs au nombre desquels se comptait Saïd Hajji que ses pairs les leaders nationalistes considéraient comme un intellectuel très avancé par rapport à son temps. Ils voyaient en lui un grand patriote qui avait une vision claire et précise de ses responsabilités politiques ainsi que des moyens qu'il proposait de mettre en oeuvre dans les actions à entreprendre au plan national pour imposer la personnalité marocaine au système colonial introduit au Maroc depuis la signature du Traité de Fès."
"A l'occasion du soixantenaire de la disparition du regretté Saïd Hajji, nous publions, avec tous nos remerciements, l'article suivant qui nous a été adressé d'Allemagne par notre ami Abderraouf Hajji".
Abdellatif Jabrou.
Il y a 60 ans Saïd Hajji disparaissait
Le 2 mars 1942, Saïd Hajji disparaissait après une courte existence qui n'a guère duré plus de trente ans, et dont il avait consacré la majeure partie à la militance dans le Mouvement National et à la lutte qu'il y avait menée pour permettre au Maroc de retrouver sa liberté et réoccuper la place qui lui revenait dans le concert des nations.
Très tôt, il avait joué un rôle de tout premier plan au sein des instances dirigeantes du "Comité d'Action Nationale" ( Koutlat Al amal Alwatany) et s'était particulièrement distingué à l'occasion de sa participation à l'élaboration du Cahier des Revendications que le Mouvement National avait presenté aux Hautes Autorités du Pays, au Gouvernement Français et à la Résidence Générale de France à Rabat. Ce cahier de doléances qui a été mis au point par une commission limitée à quatre personnes a d'abord été présenté en 1934 dans sa version complète, puis de nouveau en 1937 dans une version simplifiée faisant ressortir les demandes qui revêtaient un caractère d'urgence.
"La Koutla" s'est ensuite constituée en "Parti National" après la mesure d'interdiction dont elle avait fait l'objet. Mais aussitôt après la proclamation de Allal El Fassi en qualité de leader du nouveau parti et de Mohammed Ben Hassan Elwazzani en tant que Secrétaire Général, celui-ci a decidé de se retirer du parti, créant une scission sans précédant dans les rangs du nationalisme marocain.
Cette situation de crise n'a pu être surmontée malgré les multiples tentatives entreprises par Saïd Hajji et ses compagnons de lutte de la branche de Salé pour trouver une solution de compromis qui permettrait de sortir de l'impasse afin d'affronter ensemble le colonialisme au sein d'un front solide et unifié.
Les efforts de réconciliation n'ayant pas abouti au résultat escompté, Saïd Hajji s'est vu obligé d'opter pour l'une ou l'autre des parties en présence; il a finalement choisi le camp du "Parti National" et publié dans le journal "Almaghrib" qu'il venait de créer le texte du communiqué annonçant la création de cette nouvelle formation politique placée sous le leadership d'Allal El Fassi.
"Le Parti National" à peine créé ne tarda pas à entrer en confrontation avec les Autorités du Protectorat en tenant d'emblée les assises de son premier congrès sous la présidence de son nouveau leader. Celui-ci a prononcé dans son discours d'ouverture un véritable réquisitoire de la politique coloniale française au Maroc, mettant en exergue l'état déplorable de la situation politique, économique et sociale dans laquelle se trouvait le pays 25 ans après la signature du Traité de Fès.
Puis, c'était au tour de Saïd Hajji de prendre la parole au nom de la branche de Salé pour exprimer la fierté qu'il ressentait en voyant cette mobilisation des Marocains pour la cause de la liberté, et conclure son intervention improvisée par cette remarque chargée d'élan patriotique: "Ce que nous vivons aujourd'hui, a-t-il dit, est le prix que nous devons payer pour faire aboutir les revendications légitimes du peuple marocain".
Omar ben Abdeljalil lui a succédé à la tribune pour prendre la parole au nom de la branche de Casablanca. Il a été relayé par Abou Bakr kadiri qui a donné lecture d'un projet de résolution devant être soumis à l'approbation du congrès. Le texte de ce projet, dit "Pacte National" ("Al Mitaq Alwatani") réitère les demandes relatives à la liberté de presse et à la liberté d'association et conditionne toute nouvelle négociation avec les Autorités du Protectorat à la levée des mesures attentatoires aux libertés publiques et à l'exécution des demandes formulées dans le Cahier des Revendications Urgentes.
Il était à prévoir que le Pacte National allait provoquer une réaction immédiate du Résident Général de France au Maroc, qui a aussitôt ordonné l'arrestation des principaux responsables du nouveau parti avec, à leur tête, Allal El Fassi, Mohamad Elyazidi, Omar Ben Abdeljalil et Mohamad Mekouar. Quant à Saïd Hajji, épargné sans doute par calcul, il s'est trouvé seul sur la scène politique avec, en plus, la responsabilité d'un journal devant porter le flambeau de la presse combattante après l'interdiction qui avait frappé le journal "Al Atlas" qui était l'organe officiel du Parti National.
Saïd Hajji commençait alors à se poser des questions sur le rôle qui lui incombait désormais et l'action qu'il devait entreprendre pour amener les Autorités du Protectorat à changer de comportement à l'égard du Parti National et procéder à la libération de l'ensemble des détenus politiques.
Voici, du reste, ce qu'il a écrit lui-même au sujet du rôle qu'il s'était donné en se portant en défenseur de la cause nationale en l'absence de ses autres compagnons de lutte:
"Nous avons vécu des journées des plus sombres après l'arrestation des dirigeants du parti, et aux termes d'un délai de réflexion au cours duquel j'ai suivi de très près l'évolution de la situation politique et la tournure que prenaient les évènements, j'ai pu constater que des mains agissaient dans l'ombre, cherchant à profiter de la situation de crise que traversait le pays et voulant creuser davantage le fossé qui les séparait des idées patriotiques prônées par les dirigeants du Parti National qu'ils traîtaient d'extrêmistes intransigeants. Aussi, et après mûre réflexion, suis-je arrivé à la conclusion qu'il était de mon devoir de contrecarrer ce complot infernal fomenté par "la Direction des Affaires Indigènes" avec la complicité éhontée d'un certain nombre de collaborateurs peu scrupuleux de la cause nationale. J'ai alors pensé à plusieurs scénarios pouvant conduire à l'ouverture d'une nouvelle voie qui permettrait, en cas de succès, de déjouer le complot qui visait à incriminer les responsables du Parti, en obtenant la libération de l'ensemble des détenus politiques d'une part, et d'assurer la mise en exécution de tout ou partie du plan de réformes soumis à l'examen des Autorités françaises d'autre part".
Saïd Hajji n'était pas seulement un jeune patriote qui adorait son pays et avait une considération sans limites pour les hommes qui présidaient à son destin; il était aussi un fervent réformateur et était toujours à la recherche du renouveau afin d'ouvrir la voie à un meilleur horizon de nature à assurer au pays un lendemain plus prometteur. Il était l'homme des projets et n'avait de cesse qu'il ne les eût concrétisés.
Malheureusement, la mort l'a surpris à un moment où il comptait passer au stade de la concrétisation de ces differents projets dont la réalisation aurait largement contribué à engager le Maroc dans la voie du progrès auquel il aspirait.
Abderraouf Hajji