Almaghrib - No spécial à l'occasion de la célébration du 40ème jour de la disparition de Saïd Hajji - 6ème année - No 937 - 29 avril 1942

Par Dieu le Magnanime, relate-nous la vie
De ceux dont les os gisent sous terre ensevelis.
Parle-nous de leur race et du rang qu'ils occupent.
Etaient-ils des seigneurs, ou des serfs sous leur coupe?
Lequel a parmi eux conquis le fond des coeurs?
Lequel dont la mémoire n'éveille aucune douleur?
Lequel a parmi eux tant attiré la foule
Et s'est fait acclamer par toute l'armée en boule?
Au combat, lequel est paré d'une auréole?
Lequel a chu dans un essaimage de bestioles?
Il n'en reste plus un pour nous entretenir
Des épreuves vécues en état de délire.
Oh! Ils sont devenus du néant les jouets
Et, telle la poussière, ils sont foulés aux pieds.
La terre a conservé leurs reliques dans ses flancs
Après les avoir vu naître en chair et en sang.
Mon Dieu, à quoi sert-il d'être en vie si d'un jour
A l'autre nous partons en fumée pour toujours?
Que de morts se lamentent et se plaignent des intrus
Qui prennent d'assaut leurs tombes pour les nouveaux venus.
Ils voient le sol s'affaisser sous leurs sépultures
Engloutissant épée, plume et autres garnitures.
La vie est comme un songe que l'on fait en rêvant
Qu'on oublie aussitôt après en se levant.
De combien d'illusions l'être humain s'est nourri
Fut-il noble, rôturier, ignare ou homme d'esprit.
En vain nous implorons un recul d'échéance
Garanti sous caution, mais adieu l'espérance,
Car la mort ne connaît ni répit ni report
Ni mois sacré faisant taire les caprices du sort.
Saïd s'est alité, atteint de maladie;
Nous avons tous prié pour qu'il en soit guéri.
Mais voici que s'élèvent des sanglots et des pleurs.
La mort l'a arraché dans un cri de douleur.
Voici que le malade est parti pour toujours
Laissant nos coeurs meurtris, guettés par les vautours.
La mort a attisé le brasier de détresse
Auprès de tous les siens, envahis de tristesse.
On ne voit nulle part les yeux tarir de larmes
Partout il est question de lui comme d'un fait d'armes.
Les gens ont tous pleuré, l'ont beaucoup regretté,
Comme si, entre eux, naissaient des liens de parenté.
Quelle vertu n'est-elle pas chez lui fort bien cachée?
Quel défaut pouvait-on ainsi lui reprocher?
Son coeur pur débordait de générosité.
C'était une créature d'une extrême bonté.
Les trésors de la science qu'il a thésaurisés
A l'ouest et à l'est il les a diffusés.
Il servait son pays par le verbe et l'écrit
Et passait des nuits blanches exerçant son esprit.
Il a voué sa vie à conduire la nation
A un niveau conforme à ses hautes ambitions
Rien ne le distrayait du combat qu'il menait;
Repos et trêve juraient avec sa destinée.
Le vent l'a emporté au-delà des sommets
Qui surplombent la terre et se voilent à jamais.
Funeste élévation qui le conduit dès l'aube
Vers son dernier refuge, et des siens le dérobe.
Désormais il est seul, hardi et intrépide,
A la garde de Dieu, au sein d'une terre humide.
Là-bas, plus d'affliction et plus de sénescence,
Ni de loi du plus fort, fini toutes les souffrances.
Sincères condoléances aux siens et paix sur lui.
Dieu veut que tout s'éteigne après avoir relui.

Michel Khayat