Almaghrib - No spécial à l'occasion de la commémoration du 40ème jour de la disparition de Saïd Hajji - 6ème année - No 937 - Mercredi 29 avril 1942
Les larmes de mes yeux et celles de mon coeur
Se joignant à ma lyre, à l'unisson te pleurent.
La muse m'a fait défaut le jour de ton départ;
Je prends Dieu à témoin, j'avais le teint blafard,
Murmurais en secret qu'il fallait supporter
Et accepter le sort, qui en était jeté.
A bout de toutes mes forces, accablé de malheur,
Je souffre mille morts, et me tords de douleur.
Hier, c'était Hassar, suivi du grand savant,
Nous avons vu s'éteindre nos deux soleils levants,
Emportés l'un et l'autre par la main de la mort,
Victimes tous les deux des caprices du sort.
Des malheurs de la vie les séquelles, quelles qu'elles soient,
Peuvent être surmontées, avec leurs désarrois,
Hormis ta lourde perte, la plaie en est béante,
Le coeur en est meurtri, la raison chancelante.
C'est une ruine de l'âme; c'est la désolation,
Qui a gagné le corps de toute la nation.
Je n'oublierai jamais cet imposant cercueil
Porté à bras le corps par des amis en deuil,
Se frayant un chemin vers l'ultime demeure,
Au milieu d'une foule qui contient sa douleur.
Scène de fierté celle de ce cercueil couvert,
Aux couleurs nationales, d'un beau drap rouge et vert,
Sur lequel le Seigneur étend une paix sereine,
Majestueuse et calme, d'une clarté souveraine.
Je me rappellerai toujours ces mains tendues,
Saluant, l'âme en peine, le coeur à vif fendu,
Celui que l'étendard, telle une mère, protège,
Et le met à l'abri de tous les sacrilèges.
Tu es parti trop vite, laissant un orphelin,
Qui se lamente et pleure, tel un vrai chérubin,
Temple de la culture, qui te doit d'être en vie,
Cette revue prestigieuse toute prise de nostalgie.
Que dire du séraphin de ces organes de presse
Touché dans ses entrailles, encor en pleine jeunesse,
Ce fleuron des journaux où les idées se brassent,
Et où les grands principes se sassent et se ressassent?
Ces deux publications, rayonnant de finesse,
Sont - loin de tout bonheur - enclins à la tristesse.
Les scènes de détresse dont je revois l'image
Occupent tout mon esprit, et ma langue qu'elles ombragent.
Dors oh! noble héros, à même la terre humide,
Modeste devant Dieu, timoré et timide.
Oublie tous les soucis où tu les a laissés.
A chaque vie suffisent les peines encaissées.
Les efforts déployés dans ta vie militante,
Ce que tu as bâti, l'histoire en est garante.
Tu as laissé une oeuvre appelée à durer,
Fruit du labeur intense que tu as enduré.
"Fais qu'après ton décès ta mémoire survit;
Le rappel de mémoire est une seconde vie".
Abdelghani Skirej