Saïd Hajji, naissance de la presse nationale marocaine: Pour que la jeunesse se rappelle
Saïd Hajji et l'esprit de jeunesse militante éternelle du grand défunt, ravi à la vie à l'âge de 30 ans, en 1942, ont leur livre - "Saïd Hajji, naissance de la presse nationale marocaine", écrit par Abderraouf Hajji, publié au Canada et diffusé par Mohammed Hajji. Cet ouvrage qui sera mis bientôt sur le marché, est une entreprise familiale qui ne vient nullement altérer par quelque partialité les faits historiques se rapportant à la vie de Saïd Hajji, journaliste et nationaliste de première heure, ni atténuer l'ardeur de ses sentiments ou son indéfectible solidarité avec les nationalistes aux moments les plus sombres de l'histoire du Maroc de cette époque.
Ce livre, de près de 700 pages, comporte une présentation dans laquelle l'auteur formule quelques regrets à propos des pages de notre Histoire que nous tournons vite et de nos promesses non tenues envers notre passé et la mémoire des hommes qui l'ont façonné. L'auteur n'a pas de peine à convaincre de la loyauté et du devoir pour lesquels Saïd Hajji s'est tant sacrifié. Les nombreux documents et témoignages que comporte le livre d'Abderraouf Hajji sont suffisants pour considérer Saïd comme une grande figure du nationalisme marocain à la sombre époque de la promulgation du Dahir Berbère, de la répression et de la déportation des nationalistes.
Un livre qui fait parler l'Histoire
Ces témoignages confirment Saïd comme le "cheikh" du journalisme au Maroc, comme l'a rappelé Abou Bakr Kadiri, son compagnon de lutte, son ami et son collègue dans leur entreprise de presse et d'édition nationalistes.
Abderraouf Hajji a laissé parler l'Histoire, toute l'Histoire dont les documents écrits et les témoignages que comporte le livre ont restitué les recoins en apposant sur ses pages rouvertes le sceau de l'authenticité.
C'est une Histoire faite de gloire, d'honneur, mais aussi de lourdes contraintes que Saïd Hajji, journaliste et nationaliste, décrit avec ardeur et objectivité.
Saïd a développé une culture, des capacités et une conscience précoces qu'il a mises au service du peuple marocain et de la cause nationale durant le laps de temps qu'a duré sa vie. Il a le destin, que seule l'Histoire façonne, des hommes qui eurent la vie courte et ont la gloire éternelle. Ceux-là perpétuent une force inépuisable et une jeunesse infinie qui nourrissent les générations et entretiennent leur succession.
Pour que la jeunesse actuelle prenne conscience
La question relative à l'utilité d'un ouvrage est toujours légitime, même si à propos de celui consacré à Saïd Hajji, elle se résoud dès l'abord, car le défunt, sa pensée et l'oeuvre qu'il a accomplie, n'ont pas bénéficié de toute l'attention qu'ils méritent, hormis les ouvrages qui leur ont été consacrés par Abou Bakr Kadiri, trente ans après la disparition du nationaliste.
"C'est", dit l'auteur de "Saïd Hajji, naissance de la presse nationale marocaine", "dans le souci de réanimer la mémoire collective afin que la jeunesse actuelle prenne conscience des services rendus à la nation marocaine par Saïd Hajji et les hommes de sa génération que la famille du défunt a jugé opportun de publier le présent ouvrage".
Ce livre est celui d'une famille, celle des Hajji, mais aussi celui de la grande famille des nationalistes et du peuple marocain,
Abderraouf Hajji a réussi le double objectif de nous faire revivre et connaître l'époque de Saïd Hajji, ses sentiments, ses activités et les facteurs qui ont contribué à l'éclosion de son génie et de sa conscience précoces.
Saïd Hajji s'est éveillé tôt à la culture et au savoir qui lui ont inspiré un esprit d'organisation et une conduite rationnelle qu'il a mises au service de son pays. Forgeant sa personnalité, ils l'ont placé aux avant-postes du Mouvement National. Il en a fait, à travers le journalisme et l'édition, un moyen perfectionné et efficace d'éveil des consciences des jeunes de son époque.
La vie de Saïd Hajji avait pour cadre le Protectorat, imposé au Maroc en 1912, la situation déplorable du peuple marocain, les graves intrigues et répressions du colonialisme, les vagues d'arrestations opérées dans les rangs des nationalistes, l'emprisonnement et l'exil de mohammed El Yazidi, Omar Ben Abdeljalil, Mohammed Ben Hassan Elwazzani, Allal El Fassi, la publication du dahir berbère et d'autres évènements qui ont jalonné sa courte vie,
Le livre d'Abderraouf Hajji ne se raconte pas. Il se vit comme les héros du Mouvement National ont vécu leur époque. Intensément, et avec une foi inébranlable en leurs idéaux et la cause du Maroc. C'est dans la restitution des faits et les témoignages se rapportant à cette époque qui jettent la lumière sur la vie et l'oeuvre de Saïd Hajji que réside la force du livre d'Abderraouf Hajji.
Ce livre est un long itinéraire où l'auteur interpelle les Marocains à travers les documents publiés, sur leur responsabilité à assumer envers le passé et l'avenir de leur pays et sur l'éveil et la prise de conscience dont ils doivent constamment faire preuve. C'est là l'enseignement fondamental que l'on tire de la pensée et de l'action de Saïd Hajji consignées dans cet ouvrage.
La vie et les activités de Saïd Hajji avaient pour théâtre Salé, ville qui a donné naissance à de grands nationalistes et combattants, des hommes de lettres et des savants qui avaient mis leur savoir au service de la cause marocaine. Rabat, Fès, Tétouan et autres villes et localités du Maroc étaient également des fiefs de grands nationalistes et combattants avec lesquels le défunt avait tissé, à travers les organisations et la presse qu'ils avaient fondée, des réseaux de correspondances dédiées à l'éveil des consciences.
Le livre d'Abderraouf est une remémoration de l'époque de ces hommes que furent de même, Hachmi Filali, Mohammed El Fassi, Haj Ahmed Balafrej, Kacem Zhiri et bien d'autres qui ont inscrit leurs noms dans les pages de l'Histoire glorieuse du Maroc, à cette époque.
Fort de l'appui de ces réseaux, et aux moments où les leaders et militants nationalistes étaient emprisonnés ou déportés, Saïd ne s'est pas résigné. En cette période sombre, le colonialiste traversait lui-même des crises nées des intrigues des groupes et organisations des hommes d'affaires français établis au Maroc et de leurs appétits et visées qui réduisaient le peuple marocain à la misère, crises nées des conflits de ces derniers avec le gouvernement français et du comportement maladroit et répressif des représentants de ce gouvernement au Maroc.
Saïd et quelques autres nationalistes tentaient le dialogue, même aux moments les plus forts des déportations et de la publication du dahir berbère.
Saïd et ses compagnons ont approché les plus importantes personnalités représentant le colonialisme au Maroc, les plus rusées, perfides et cyniques. Ils leur ont tenu le langage le plus ferme et le plus intelligent pour les faire revenir sur leurs décisions et mesures.
Résidents Généraux et autres représentants de la France au Maroc avaient reçu les premiers groupes de nationalistes pour différents motifs et sujets relatifs à la cause marocaine. Nous citons l'épisode de l'une de ces rencontres survenues entre Mohammed El Yazidi et ses compagnons et le directeur des renseignements français, en juillet 1937, quelques jours après leur relaxation par les Autorités du Protectorat, et durant laquelle ce nationaliste menait fermement la discussion avec le directeur des renseignements à propos du dahir berbère.
A l'affirmation du fonctionnaire français insinuant que "le gouvernement du Protectorat a promis aux Berbères de tout mettre en oeuvre pour sauvegarder leurs us et coutumes et qu'il n'est nullement question qu'il faille à ses engagements" El Yazidi répondit que "les Berbères ont bien d'autres revendications à formuler que la conservation de traditions périmées".
La question qui désarma le directeur des renseignements, posée à celui-ci par El Yazidi, fut celle de savoir: "comment se fait-il que les représentants des tribus qui ont fait part au Souverain de leur volonté de rester soumis à la justice du cadi ont été conduits en prison?"
Au plus profond de la crise
Le livre d'Abderraouf Hajji nous restitue, à travers les écrits de Saïd Hajji dans les journaux qu'il avait fondés, et en particulier "Almaghrib", la grandeur et la misère du Maroc: celles de son passé fait, selon Saïd, d'héroïsme et de bravoure, et d'un présent, correspondant aux années du Protectorat, où le peuple marocain était pris entre le marteau de l'ignorance et de l'immobilisme et l'enclume de la disette.
Selon une étude publiée dans le 5ème numéro d'Almaghrib, la crise marocaine était due, d'après le professeur Allal El Fassi, à:
- l'expropriation des terres agricoles marocaines au profit des colons auxquels ces terres ont été offertes comme un cadeau légitime.
- Des dizaines de familles qui résidaient à la campagne ont été soulagées de tous leurs biens et n'avaient plus de moyens pour subvenir à leurs besoins.
Il en est résulté un exode rural sans précédent vers les villes, y créant un encombrement indescriptible des lieux réservés jusque-là à la population citadine.
Détruire les idoles qui cachent la voie d'accès à la lumière
Saïd Hajji, qui partageait les vues d'Allal El Fassi, avait procédé à de nombreuses analyses qu'il a publiées dans ses articles consacrés aux questions sociales, économiques et politiques.
Avant de présenter les épisodes importants de la vie de Saïd Hajji et les traits de sa personnalité tels qu'ils ont été établis par Abou Bakr Kadiri et repris par le livre d'Abderraouf, nous relatons, tels qu'ils ont été décrits par Saïd, quelques faits éminents de son époque et les évaluations qu'il a établies à leur sujet.
Auparavant, nous reprenons ces passages de l'écrit de Saïd Hajji, publié dans le numéro 6 du supplément culturel d'Almaghrib du 12 mai 1938: "A l'instar des idoles de la Kaâba, qui se présentent comme un obstacle entre les Arabes et le message du Prophète qu'ils n'arrivaient pas à comprendre, ce qui a motivé leur destruction, se dressent aujourd'hui entre l'Islam et les Marocains, trois idoles d'un type nouveau que nous devons combattre si nous ne voulons pas nous laisser aveugler par l'impiété: une ignorance caractérisée, un comportement moral abject et un égoïsme mortel. Ce sont autant de fétiches auxquels nous vouons un culte particulier et qui nous cachent la voie d'accès à la lumière spirituelle".
C'est le colonialisme qui, surprenant les Marocains par les bouleversements qu'il avait introduits au Maroc pour y consolider ses assises, la marginalisation complète du monde rural écrasé par les impôts, et ses tentatives d'altérer et confisquer son identité, qui étaient à l'origine de cette crise.
La destruction de ces idoles de type nouveau, relevés par Saïd Hajji, avait commencé avec les groupes de nationalistes qui avaient accédé à la voie de la lumière spirituelle pour s'opposer au colonialisme et le combattre par la suite.
Gare à toi, nation marocaine
Se référant à la guerre du Rif, qui avait exercé une influence considérable sur les esprits, Saïd Hajji a, dans ses écrits datés de 1933, souligné que celle-ci a "allumé la flamme patriotique et porté les Marocains à se convaincre que, quelle que fût la fotce de l'ennemi, avec son armée, son matériel sophistiqué et la flotte dont il disposait, il ne pourrait jamais triompher de la foi d'un peuple luttant pour ses droits légitimes".
"Le combat politique lui a succédé, ayant comme objectif d'éveiller la fibre patriotique dans toutes les couches sociales et être une source de lumière qui éclaire le chemin dans les circonstances malheureuses que traverse la nation. Les Français qui n'étaient pas sans savoir la fermeté des Marocains et leur attachement à leur pays, se sont hâtés de penser aux moyens de combattre l'esprit de tourmente et de révolte hérité de la guerre du Rif. Ils sont arrivés à la conclusion, avec à leur tête le résident général Steeg, que le moyen le plus simple de contrecarrer le mouvement de révolte était de semer la terreur dans le pays avec le recours à la force armée et à la répression".
"Mais cette politique n'a pas abouti au résultat que la puissance coloniale escomptait. Elle a, au contraire, renforcé la détermination des Marocains et attisé la haine qu'ils portaient aux milieux colonialistes.Ceux-ci ont cherché à approfondir leur politique d'intégration; et les études faites dans ce sens ont abouti à ce qu'il a été convenu d'appeler la question berbère. Ces études ont été entamées de longue date et leur mise en oeuvre a été planifiée d'une manière irréfléchie et peu sérieuse au vingtième siècle.
Le fossé ne faisait que se creuser davantage entre la population marocaine et l'Autorité coloniale. Les protestations gagnaient tous les milieux en raison des libertés que l'occupant prenait avec les nationaux et de la tyrannie qu'il exerçait sur eux. Tout le monde était agacé par cette politique qui ne laissait plus d'autre choix que la confrontation permanente avec l'ennemi et l'organisation d'un soulèvement explosif. En ce qui concerne les doléances présentées, elle s'est opposée, comme elle l'a toujours fait, à toute tentative visant à améliorer la situation du peuple, pour montrer sa force oppressive.
L'expérience montre que l'occident persiste dans sa politique de répression aussi longtemps qu'il constate une soumission apparente de la population au pouvoir colonial. Celui-ci fait pression sur les libertés publiques et privées et exerce une oppression abominable sur le paysan. Il encourage l'injustice afin de réprimer les sentiments, et procède à la division du pays, à son éloignement du monde de l'Islam et de l'Arabité, à son rangement sous la bannière tricolore et à son évangélisation.
Ceci est incompatible avec l'esprit nationaliste. Aucune personne consciente de sa dignité ne peut le tolérer. Quel est ce Marocain qui ne ressent pas au fond de lui-même cette irrésistible aspiration à la dignité? Sans elle, le pouvoir colonial n'aurait eu aucune difficulté à l'intégrer dans ses rangs. Gare à toi, nation marocaine. Méfie-toi de ces agissements qui sont le pis qui puisse t'arriver. Débarrasse-toi de cette poussière de silence pour que les Français se rendent compte de ton existence."
Sursaut du nationaliste marocain
Le dahir berbère fut la pierre d'achoppement sur laquelle avait buté le colonialisme français qui avait commis une lourde erreur en formulant son projet de division du peuple marocain. Les écrits de Saïd Hajji, à ce propos, sont d'une importance historique considérable. Nous en reproduisons ci-après des extraits que le lecteur appréciera à leur juste valeur. L'article suivant, publié dans le livre d'Abderraouf Hajji, est destiné à la presse de l'Orient Arabe. Il a été rédigé à l'occasion du 16 Mai 1933, date du 3ème anniversaire de la promulgation du dahir berbère.
"L'idée berbère peut être considérée comme l'un des concepts colonialistes les plus dangereux que l'humanité ait connus dans le passé comme de nos jours, en raison de la façon dont le fort impose sa politique d'intégration au faible. Malgré ce danger, une partie des Français pense que l'entreprise est non seulement viable, mais qu'elle peut être mise en oeuvre en toute facilité. Les hommes de l'Administration coloniale dans notre pays se sont imaginés, au cours des réunions qu'ils ont tenues pour décider de l'adoption de cette politique et de sa concrétisation par le dahir du 16 mai, que les Marocains n'allaient pas prêter attention à leurs manoeuvres, ni même se douter de leurs intentions et ce, malgré la connaissance qu'ils pouvaient avoir des ouvrages consacrés à l'étude de ce projet, dont l'un des pricipaux objectifs était l'éradication de l'Islam dans notre pays.
Le dahir a été mis au point de manière quasi urgente, bien que la plupart des responsables français, et en particulier les juristes et les partisans du concept les plus acharnés d'entre eux, l'aient étudié plusieurs mois avant sa publication. Quelques jours seulement après la date de sa parution, le Sultan s'est rendu en France et le Résident Général de France à Rabat a décidé de prendre part au - congrès de l'Afrique du Nord - en Algérie. La presse française locale s'est contentée de quelques mots de commentaire comme si la parution du dahir était prévue de longue date; et certains journaux ont félicité le Résident Général pour le pas qui venait d'être franchi.
Or, contrairement à ce que les Français pouvaient s'imaginer au premier abord, la question n'a pas été prise à la légère par les nationalistes marocains. Ceux-ci ont largement débattu de la politique adoptée par la puissance coloniale dans ce pays, et exprimé avec le plus grand soin les moyens à mettre en oeuvre pour la combattre. Tout ce qui se publiait sur les Berbères et leur devenir faisait l'objet d'une réflexion approfondie; mais, il n'est venu à l'idée de personne que la question allait revêtir un caractère officiel de prosélytisme et puiser ses forces dans le soutien matériel et moral de l'église catholique à Rabat.
Ce n'est qu'après la parution du dahir que les patriotes marocains se sont rendus compte du danger qui menaçait le pays dans son ensemble. Ils ont tenu de très nombreuses réunions pour se concerter sur l'attitude à prendre, et décidé à l'unanimité de combattre la politique berbère considérée comme un véritable affront à la nation marocaine et une atteinte des plus préjudiciables à sa dignité. Ils ont commencé par expliquer aux masses populaires que les objectifs de cette politique et les intentions qui animaient l'Administration coloniale en l'adoptant étaient de diviser le pays pour mieux permettre à la France d'y régner en maître absolu.
La réaction du public marocain dans les grandes villes s'est concrétisée par un très vaste mouvement de soutien et d'encouragement aux initiatives du mouvement de protestation , non seulement à cause de la méfiance qu'ils ont toujours eue à l'égard de la puissance coloniale et que la politique berbère n'a fait que renforcer, mais aussi en raison de la situation de précarité, sinon de misère, dans laquelle ils se trouvaient et de l'état d'étouffement auquel le manque de liberté les a conduits.
Le mouvement de protestation a commencé à Salé, suivie de Rabat, puis de Fès avant de s'étendre à d'autres villes du Maroc. Le chaos s'est installé dans la plupart des administrations. Dans les prisons, on entassait les patriotes ayant pris part aux manifestations. Les dirigeants du mouvement étaient condamnés à l'exil, ce qui n'a fait qu'exacerber les esprits et aiguiser la volonté de résistance des patriotes en les renforçant dans la conviction que la victoire était à portée de leurs mains ( ... )"
Les Hajji, une famille prestigieuse et de haute moralité
Ravi à la vie à la fleur de l'âge, Saïd Hajji n'est pas allé jusqu'au bout du combat, le sien et celui des nationalistes, dont il a placé haut les objectifs. Il en avait parcouru en un laps de temps les étapes fondamentales, avec ses compagnons du Mouvement National, qui ont éveillé les consciences du peuple marocain et permis aux nationalistes de le poursuivre. Sa disparition a été ressentie comme une perte nationale.
Abderraouf Hajji a reproduit plusieurs témoignages exprimés par les nombreux amis et compagnons de Saïd Hajji à l'occasion de la commémoration de sa disparition. Nous publions ci-après le témoignage de l'historien Mohammed Doukkali sur Saïd Hajji et sa famille, témoignage d'une importance incontestable de nature à permettre au lecteur d'avoir une meilleure connaissance du grand disparu et de sa famille.
"L'homme était un prédicateur et un conseiller dans tout ce qu'il disait. Les gens ne se rendaient pas bien compte du zèle qu'il mettait dans son dévouement à servir sa nation, ni du regret qu'il ressentait devant la dégradation des moeurs et la perte inutile de temps et d'argent, sans aucun profit ni pour soi-même ni pour la collectivité. Que de fois il a exprimé son étonnement devant le profond sommeil dans lequel le Maroc était plongé, inconscient des maladies qui le rongeaient et ne faisant rien pour leur trouver remède par le biais de la science qui guérit les maux des plus simples aux plus compliqués. On le voyait en proie à une grande agitation, réfléchissant à la meilleure thérapeutique à appliquer aux maladies dont souffrait le peuple, et n'a rien trouvé de mieux pour combattre le mal de l'ignorance que ses articles d'orientation, ses conseils utiles qu'il prodiguait d'une manière ininterrompue et déballée dans un style journalistique pour qu'ils fussent à la portée de chacun où qu'il fût.
Il a pénétré l'oreille du sourd et guidé l'aveugle dans sa marche à tâtons. Il n'a cessé de réprimander les jeunes inconscients et de réveiller les esprits insouciants que seul intéressait au monde ce qui les entourait sans faire attention aux conséquences désastreuses de l'ignorance et de la vanité. Que d'appels il a lancés avec l'espoir d'être écouté des vivants! Si nous disons que cet homme était seul à détenir ces extraordinaires qualités et à se prévaloir de cet état d'esprit spécifique, alors qu'il comptait des amis et des compagnons de son âge qui, comme lui, ne vivaient pas dans le besoin, et qui puisaient dans les mêmes sources du savoir, sans pour autant avoir la maturité qui l'individualisait, nous devons convenir qu'il y avait à cela une raison que seule la raison ne pouvait ignorer. En effet, parmi les causes qui ont contribué à former cet esprit exceptionnel et cette noblesse de caractère, il y avait à la base une forte aspiration à accéder à une situation des plus élevées.
Saïd était le fruit d'une alliance qui avait uni deux prestigieuses familles, celle de son père dont la lignée remontait au pieux cheikh sidi Ahmed Hajji, que Dieu ait son âme, et celle de sa ère, les Msattas de Salé. En ce qui concerne la branche paternelle, elle a de tout temps été férue de sciences et vivait dans la hantise du bien. Elle comptait presque toujours dans ses rangs un homme de savoir ou un saint. Quant à la famille maternelle, la science y était transmise de génération en génération et la haute moralité léguée de père en fils. Ainsi, en vivant dans un milieu aussi vertueux, le regretté Saïd ne pouvait être que pur de toute tâche et exempt de tout vice".
Abou Bakr Kadiri: La vie de Saïd, un exemple à suivre
Nous publions ci-après un article écrit par Abou Bakr Kadiri, à l'occasion de la commémoration du premier anniversaire de la disparition de Saïd Hajji.
"S'il était donné à un ami ou à l'un des intimes de Saïd de lui consacrer une biographie pour mettre en exergue les dons dont il était comblé, les caractéristiques qui le distinguaient et les projets qu'il initiait et avait la ferme intention de réaliser, tout le monde aurait découvert dans la personnalité du disparu nombre de qualités et de vertus qui ne se trouvaient réunies que rarement chez les jeunes de son âge, et se serait ainsi rendu compte de l'immense calamité provoquée par sa disparition.
Saïd était un véritable prodige et ce, depuis son enfance. S'il avait vécu plus longtemps, il aurait été voué à un brillant avenir et nous aurait appris qu'il faisait partie de cette catégorie d'hommes qui savaient maîtriser les situations les plus délicates, et que le pays pouvait tirer profit de ses entreprises exaltantes, de la maturité de son esprit, de la fertilité de son intelligence, de son incessante activité et de sa fidélité à toute épreuve. Mais les vents emportent les navires là où ils ne souhaitaient pas naviguer
Saïd observait son pays comme un médecin expérimenté. Dès son jeune âge, il diagnostiquait les causes qui le maintenaient à l'arrière de la caravane. Il enregistrait toutes les idées qui lui venaient à l'esprit ainsi que toutes les observations qu'il jugeait d'un certain intérêt. Il les soumettait à une réflexion minutieuse et, après avoir constitué une banque de données sur un sujet qui se rapportait au mal qui rongeait le corps de la nation, il se mettait à chercher les remèdes les plus efficaces. Sa réflexion n'était jamais le fruit de l'imagination. C'était un esprit délié et pratique dans tout ce qu'il initiait et entreprenait.
Nous lui avons souvent fait remarquer qu'il s'intéressait à des futilités, mais, pour toute réponse, il arborait un léger sourire et n'accordait aucune importance à nos observations. Il y a longtemps, Saïd a été interrogé sur les besoins immédiats de la nation, et il nous a répondu que le pays avait besoin de toute urgence d'une imprimerie. Une telle réponse, de par sa simplicité, n'était bien sûr pas de nature à nous convaincre. Mais, lorsque nous nous sommes trouvés sur le terrain de l'action, nous nous sommes rendus compte de la nécessité de disposer d'une imprimerie pour pouvoir faire face à certaines activités d'intérêt national. Mieux encore, nous nous sommes rendus compte que tout ce que nous voulions entreprendre, à quelque niveau que ce fût, était tributaire en tout ou en partie d'une imprimerie. Nous avons alors saisi pourquoi Saïd accordait la priorité des priorités à un tel projet, et nous avons redoublé de considération pour la hauteur de vues de notre regretté Saïd.
Ceci n'est qu'un aspect parmi les innombrables qualités qui ont fait son mérite. Ce n'est pas le lieu ici d'entrer dans les détails de toutes les manières d'être du défunt. D'autres aspects non moins importants le distinguaient, et dont quelques uns seulement parmi les plus dévoués de nos compagnons pouvaient se prévaloir d'en avoir eu connaissance, ne fût-ce qu'en raison du privilège qu'ils avaient de faire partie de ses cercles les plus intimes. La disparition de Saïd peut, à juste titre, être considérée comme une véritable calamité et une grande perte pour la patrie. Sa famille n'est pas la seule à l'avoir perdu, ni ses amis, mais ce sont des espoirs ruinés avec sa mort, des talents anéantis, des activités ensevelies et des projets réduits à l'abandon : espoirs de toute une nation, talents d'une insigne rareté, activités dont il était à la fois l'initiateur et l'exécutant, projets dont il était l'âme et le pilier.
Que Dieu ait ton âme, Saïd, nous donne le courage de nous armer de patience et nous aide à réaliser ce à quoi tu aspirais".
- Saïd Hajji - Naissance de la presse nationale marocaine - dont nous ne pouvons, ici, relater la richesse et les messages que portent les écrits du jeune nationaliste que cet ouvrage contient, est une entreprise minutieuse et de longue haleine. Le livre d'Abderraouf Hajji ne se conclut pas car, consacré à une période révolue, il restitue la mémoire, l'oeuvre et le génie éternel des hommes qui l'ont forgée. Le génie de Saïd Hajji, précoce et ascendant, est vivant. Il est la lumière qui perpétue l'Histoire et éclaire et la voie des générations qui se succèdent dans les champs obscurs et les espaces de crises qu'elles rencontrent.