Almaghrib - Date de parution surchargée et illisible; mais le texte fait partie de la série d'articles sur la Karaouiyine que Saïd Hajji a publiés au mois de mars 1939

Nécessité d'introduire le système des thèses

L'histoire de la karaouiyine est riche en hommes qui passaient pour le modèle idéal des érudits grâce à leur pratique du savoir qu'ils transmettaient de génération en génération, sans en tirer un quelconque profit matériel. Chacune de ses étapes nous fournit une liste de savants éminents qui ne demandaient à la vie que la force nécessaire pour poursuivre la diffusion de leurs connaissances. C'étaient des exemples d'ascétisme et de sacrifice dans l'accomplissement de la tâche qui leur était impartie. Leur vie était entièrement vouée à la divulgation du savoir, ce don de Dieu dont ils ont pu acquérir la maîtrise.

Si les circonstances ont changé et que l'une de nos toutes premières revendications fût de placer le savant de la karaouiyine dans une position digne de l'autorité qu'il exerce dans les matières scientifiques qu'il enseigne et de le rétribuer en conséquence afin de le mettre à l'abri des difficultés de la vie et de ses peines, c'est parce que nous voulons que notre université ne s'écarte pas de sa mission sacrée, et que nos savants sachent que la diffusion du savoir est un devoir au service de la science elle-même auquel ils ne peuvent échapper. Il leur appartient de s'en acquitter avec la même ardeur et la même dévotion qui ont caractérisé les anciennes générations de savants et permis de bâtir les fondements de l'université et de les maintenir à l'abri des caprices du temps, malgré les graves crises qui ont secoué le Maroc pendant plus de 11 siècles.

Les étudiants de l'université doivent redoubler d'effort pour tirer le maximum de profit de leurs études sans se laisser angoisser par les cauchemars de la vie, ni perdre de vue le rôle de courroie de transmission du savoir au milieu marocain qui leur incombe. Le système qui vient d'être introduit à la karaouiyine ne pourra donner ses fruits que si les étudiants savent que l'obtention des diplômes ne constitue pas une fin en soi et qu'elle n'est pas le seul objectif du milieu scientifique ou de ce que l'on pourrait espérer atteindre par ce système. Sans négliger l'aspect matériel de l'avenir de l'étudiant diplômé, celui-ci doit penser à exercer une profession pouvant lui permettre de mettre à profit ce qu'il a appris au cours de ses études universitaires ou de ses recherches personnelles dans les domaines de la religion, du droit, de l'histoire ou de toute autre branche du savoir. C'est à lui de démontrer ses compétences, en éclairant la nation sur ce qu'il convient de réformer, et de prouver ainsi que les années passées au sein de l'université ne se sont pas écoulées en vain.

L'Etat, pour sa part, doit encourager la spécialisation par l'introduction des thèses du troisième cycle et l'adoption d'une réglementation de nature à orienter l'étudiant dans les travaux de recherche qu'il est appelé à effectuer pour préparer le document qu'il compte présenter à la soutenance de thèse pour l'obtention du grade de docteur. Le diplôme délivré actuellement par la karaouiyine, appelé "Alimiya", sanctionne la capacité de l'étudiant d'avoir bien assimilé les cours de l'université, mais ne prouve pas qu'il a atteint la maturité scientifique, ni que les connaissances qu'il a acquises ont suffisamment fermenté dans son esprit pour qu'il puisse produire une création scientifique ou littéraire qui fasse honneur à l'université.

Si l'étudiant consacre encore deux ou trois années après l'obtention du diplôme délivré actuellement à se spécialiser dans un sujet précis, à en soumettre les moindres détails à un examen approfondi et à rédiger le document qu'il pourra présenter à une soutenance de thèse, ce serait là un résultat conforme à l'esprit de notre temps et une preuve du progrès scientifique réalisé par l'université, qui aura alors repris sa marche initiale et ouvert à ses étudiants la voie de la véritable maturité. Si un tel système est adopté et que l'Etat encourage les diplômés à s'y présenter, la vie scientifique marocaine connaîtra une ère florissante dans le domaine des éditions et tirera un titre de fierté de ces thèses de doctorat qui constitueront la base d'un réel renouveau de notre grande université.