• De Mohammed Aziman à la mission marocaine à Damas

Le Caire, 9 mars 1933

Mes chers amis,

... Avant l'arrivée du cheikh Abdelhay Kettani en Egypte, Ahmed Cherkaoui venant de Rabat l'a précédé - et vous devez savoir beaucoup de choses sur ce patriote qui fait partie de ceux qui ont combattu le dahir berbère avec dévouement et en ont payé le prix avec les torts et les supplices qu'on leur a fait subir - résolu à dévoiler les dessous des cartes d'Abdelhay Kettani et à le révéler sous son vrai visage. Il s'est mis effectivement à l'ouvrage et a commencé à donner à tous les grands d'Egypte qu'il a pu contacter une image qui représentait l'individu dans toute sa réalité. Il a convenu avec le cheikh Rachid Réda et Mouhib Eddine Al Khatib de démasquer cet homme le jour même de son arrivée au Caire.

L'intéressé est arrivé suivi d'un grand entourage de ses partisans, après avoir passé un certain temps en France et en Italie où il a été reçu avec les honneurs par le Pape.

Deux jours après son arrivée, Ahmed Cherkaoui est venu nous voir, le visage blême, Nous lui avons demandé ce qui est arrivé. Il nous a alors dit que Mouhib Eddine Elkhatib lui a montré une lettre qu'il venait de recevoir de l'Emir Chakib Arsalane lui recommandant le nommé Abdelhay Kettani et l'informant que celui-ci lui avait rendu visite en Suisse et s'était plaint que les jeunes Marocains avaient un comportement exécrable pour ne pas dire plus à son égard et le couvraient de toutes sortes d'accusations. Il a également exposé ses griefs à l'encontre de ces grandes figures de l'Islam qui se laissaient influencer par les bobards de ces jeunes et les attaques qu'ils ne cessaient de lui porter afin de nuire à sa personne.

Il a ajouté que son attachement à l'Islam était de loin supérieur au leur, qu'il ne ménageait aucun effort pour servir sa religion et que, s'il donnait l'impression d'une inféodation à la France, c'était d'une part pour en tirer profit pour le grand bien de la communauté musulmane, persuadé qu'il était que la politique de souplesse et de compromis était nettement plus productive que celle de la dureté et de la violence, et d'autre part pour sauver les zaouiyas de sa confrérie religieuse disséminées en pays berbère, dont le maintien ne pouvait que garantir la conservation de l'Islam dans ces contrées.

Il lui a raconté, à l'appui de ses allégations, qu'il avait dû chasser son fils du domicile paternel, après qu'il ait refusé d'obtempérer à l'ordre qu'il lui avait intimé de cesser d'écrire dans la revue gouvernementale "Almaghrib" qui avait donné plusieurs preuves de sa traîtrise.

Après avoir raconté tout celà, Chakib Arsalane a écrit: "Cet homme peut être honnête dans ses paroles et être effectivement bien intentionné dans ses actes". Il a prié Mouhib Eddine Elkhatib de ne pas se montrer sec à son égard quand il sera en Egypte, et de le recevoir comme il se doit quand il viendra lui rendre une visite de courtoisie. Ahmed Cherkaoui nous a mis au courant de cette lettre de recommandation pour le moins insolite écrite de la main de Chakib Arsalane. Nous y avons vu un coup mortel porté à tout ce que nous avons entrepris comme efforts en faveur de notre cause nationale. Je l'ai aussitôt accompagné chez le cheikh Rachid Réda pour l'informer de ce que nous venions d'apprendre. Nous avons constaté que la lettre de recommandation lui était parvenue à lui aussi, mais qu'il ne s'était pas laissé influencer par son contenu, estimant que Chakib Arsalane a été trop loin dans l'étalage de sa bonne foi avec cet homme. Toujours est-il que l'intervention de l'Emir était de nature à paralyser toutes les actions que nous avions envisagé d'entreprendre dans le monde musulman pour démasquer l'homme. Nous n'avons aucun doute qu'il s'était fait remettre plusieurs lettres de recommandation destinées aux grands leaders politiques en Palestine, en Syrie, en Irak, en Inde et dans tous les pays où il comptait se rendre dans la région.

Nous avons écrit à Chakib Arsalane pour lui exprimer nos craintes de voir cet individu exploiter le rang de l'Emir dans les pays musulmans pour faire aboutir les visées de la France pour lesquelles il a été chargé d'effectuer cette tournée de promotion. Nous lui avons fait part de nos appréhensions que la confiance qu'il lui a donnée n'entraîne celle des Marocains eux-mêmes, et ne contribue à aggraver sa nocivité et renforcer le danger qu'il représente. Nous l'avons prié de rattraper cette bavure avec sa sagesse afin de remettre ce traître à sa place. Puis, nous avons rédigé un communiqué que nous avons diffusé auprès des organes de presse. Mais il n'a été publié jusqu'ici que par le seul journal "Alwadi". Il y a tout lieu de penser que la lettre de Chakib Arsalane a exercé une grande influence sur Mouhib Eddine Elkhatib puisqu'il s'est abstenu de publier notre communiqué dans son journal "Alfath"; et ce n'est qu'après bien des difficultés qu'il a consenti à le publier, non sans l'avoir vu repris sur les colonnes des autres journaux.

Ceci étant, lorsque Abdelhay Kettani a rendu visite à quelques personnalités, nous avons appris ce jour que Chakib Arsalane a adressé une très longue lettre à Mouhib Eddine Elkhatib et l'a chargé de la remettre au cheikh Abdelhay, et où il lui a écrit ceci: "Après votre départ, j'ai été harcelé par des lettres qui me parvenaient de toutes parts, me mettant en garde contre vous et me dévoilant le fond de vos activités. Je vous demande maintenant de me fournir des preuves irréfutables de l'exactitude des allégations que vous avez invoquées devant moi, faute de quoi je ne tarderai pas à montrer à celui qui essaie de m'exploiter à ses propres fins et m'induire en erreur la vengeance dont je suis capable. Je me suis érigé en bouclier pour combattre des empires, et je n'hésiterai pas un seul instant à vous écraser et vous anéantir".

Je voudrais ajouter qu'Abdelhay Kettani a demandé au directeur d'"Aljihad", Mohammed Ali Taher, de lui consacrer un mot d'éloges dans sa revue; et, pour toute réponse, il lui a écrit: "Je me suis assuré de la traîtrise de votre éminence. Aussi ne m'est-il pas possible de publier quoi que ce soit sur vous". Puis, il a sorti un article dans "Aljihad" sous le titre: "le deuxième Benghabrit".

  • Le Caire, 4 mai 1933

Mes chers amis,

Nous avons reçu votre première lettre datée du 24 avril avec sous son pli 4 guinées. Puis, votre seconde lettre datée du 1er mai est arrivée aujourd'hui avec les articles destinés à la presse égyptienne. Nous nous excusons pour le retard que nous avons mis à vous écrire et qui est dû, ces temps-ci, à un surcroît de travail scolaire. Vous nous avez demandé si nous nous chargeons de publier le bulletin dont copie vous a été adressée. Effectivement, ce bulletin a été imprimé aujourd'hui même, et nous vous en avons envoyé une certaine quantité pour en assurer la diffusion parmi la colonie marocaine résidant en Syrie. Notre ami Hassan Bouâyad nous a écrit avant l'arrivée de votre lettre et nous a indiqué des adresses à Paris et à Londres pour envoyer par leur intermédiaire un certain nombre d'exemplaires au Maroc. Il nous a communiqué les coordonnées d'une personne à Tétouan. Nous avons déjà procédé aux envois aux adresses qui nous ont été indiquées, et nous pensons qu'il n'est plus nécessare maintenant d'effectuer d'autres envois aux adresses mentionnées dans votre correspondance.

Nous avons reçu le bulletin réalisé par nos camarades à Naplouse et en avons assuré la diffusion auprès des organes de presse. Il a été repris par la plupart des journaux que nous avons répertoriés et dont nous vous avons adressé un exemplaire de chaque numéro. Vous nous demandez de vous faire parvenir tout ce qui se publie en Egypte sur notre pays pour que vous en assuriez l'expédition au Maroc. Nous ne manquerons pas de donner suite à votre demande, mais il vous faut, pour celà, nous indiquer le nombre d'exemplaires que vous désirez recevoir par numéro contenant les retombées rédactionnelles provoquées par nos soins.

Nous avons fait publier la nouvelle relative à l'accrochage entre juifs et musulmans sur les colonnes du journal "Assiyasa". Nous avons reçu en retour les articles qui nous ont été réexpédiés par la revue "Al Arab" de Jérusalem; et comme nous sommes toujours dans l'attente des articles que nous devons remettre à la revue "Al Fath", nous avons gardé cette matière rédactionnelle en réserve, en attendant l'arrivée des articles destinés à ce numéro spécial sur le Maroc. Lorsque nous aurons regroupé l'ensemble des textes, nous en choisirons la quantité requise par le "spécial Maroc" et distribuerons le reste à d'autres journaux. Nous pensons qu'il sera beaucoup mieux de procéder de cette manière que de mettre l'ensemble des oeufs dans le même panier et nous limiter à un seul organe de presse. Nous n'avons pas encore pris une décision définitive à ce sujet. Aussi n'est-il pas nécessaire de nous envoyer la somme d'argent requise à cette fin.

Le Dr Abderrahmane Chahmandar nous a promis de rédiger un papier à l'occasion du jour anniversaire du dahir berbère et de le donner à publier à l'une des grandes revues mensuelles - "Al Hilal" - "Al Muqtataf" - ou "Al Maârifa" - . Nous allons, de notre côté, écrire à certaines associations à Java, pour leur demander de s'associer à nous dans la commémoration du jour anniversaire de ce douloureux évènement.

Une lettre de notre ami Haj Ahmed Cherkaoui nous est parvenue de la Mecque, dans laquelle il relate une histoire qui lui est arrivée avec les partisans d'Abdelhay Kettani qui voulaient l'agresser. Mais il a pu leur échapper par miracle. Il nous a envoyé un article avec sa signature pour le faire publier par les journaux égyptiens.

Photo prise en 1934 au Caire - Assis de droite à gauche: Mohammed Al Khatib, Mohammed ben Abdelwahab - Debout de droite à gauche: Saïd Hajji, Mohammed El Fassi Al Halfaoui, Abdelkrim Hajji, Mohammed Aziman

Photo prise en 1934 au Caire - Assis de droite à gauche: Mohammed Al Khatib, Mohammed ben Abdelwahab - Debout de droite à gauche: Saïd Hajji, Mohammed El Fassi Al Halfaoui, Abdelkrim Hajji, Mohammed Aziman.