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Fragment d'une lettre envoyée de Londres fin février 1936
... Depuis que je suis arrivé à Londres, ou plus exactement depuis que j'ai quitté le Maroc, je n'ai reçu qu'une seule lettre de toi. Mais depuis que cette lettre est arrivée, je saisis chaque occasion pour la relire et me laisser bercer par la douce tonalité musicale des mots qu'elle contient. Je vois en elle une personnification de l'être jovial que tu es. Je lui tiens compagnie comme si elle était toi-même; et je brûle du désir qu'une autre lettre est en route pour alléger le poids de la nostalgie et la douleur de la solitude qui m'accablent. Surtout ne te laisse pas séduire par l'idée que je vais te livrer mes impressions sur les visites que j'ai effectuées à Londres. Je peux t'assurer que seuls les yeux, non le coeur, parcourent du regard les curiosités de cette ville. Mon coeur, lui, va plus loin et est à l'endroit que je t'ai décrit dans une autre lettre que je t'ai adressée avant celle-ci.
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Fragment d'une seconde lettre envoyée de Londres en 1936.
... J'ai passé la journée du vendredi dans la ville de Birmingham à visiter "la Foire des Industries Britanniques", et en particulier l'aile de cette foire réservée aux machines d'imprimerie. A mon retour le soir, j'ai été accueilli par une liasse de lettres que j'ai passées en revue avant de tomber sur une lettre de toi que je me suis empressé de décacheter avec autant d'impatience que d'excitation. Mais, à peine y ai-je lu quelques lignes que j'ai ressenti comme un choc et failli tomber à la renverse, ne sachant plus ce qu'il y avait autour de moi et trouvant quelques difficultés à répondre à ceux qui me parlaient. Je ne savais même pas qui a écrit les autres lettres, et ne pensais plus au dîner. Je suis sorti par une nuit glaciale, l'esprit agité, ne sachant pas où mes pas me conduisaient, ne voyant pas ce qui défilait sous mes yeux et ne prêtant aucune attention à ce que j'écoutais. Mais, comme ta lettre était douce! Comme tes reproches étaient d'une suavité agréable, malgré leur ton sec qu'il m'a été difficile de supporter et qui m'a condamné à errer à l'aventure, et à me faire parcourir la ville de long en large sans subir la moindre fatigue.
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Fragment d'une troisième lettre envoyée de Londres en 1936
... Sais-tu que ta lettre me tient lieu de coran que je récite au plus profond de la nuit., lorsque le calme se déploie dans l'air et que les êtres s'agitent dans l'ivresse du sommeil. Je la lis le matin de bonne heure lorsque l'ouvrier regagne son lieu de travail, l'élève son établissement scolaire, le maître sa classe et le commerçant son lieu de commerce. Je la lis quand je prends le train ou l'autobus, ou quand je me promène à pied au milieu de cette foule effervescente où j'ai failli être percuté sans que j'aie été conscient que j'étais à deux doigts de la mort, et sans savoir si la félicité qui m'attendait dans l'autre monde équivalait à celle que j'ai ressentie en ouvrant ta lettre hier soir. Je ne vais pas te répondre à cette lettre, mais je compte la relire non seulement pendant mon séjour dans cette ville, mais même quand je serai à côté de toi. Chaque fois que je la relis, la réponse jaillira de mon coeur, et c'est mon âme qui se mettra à dialoguer avec toi pour te dire que chacun de nous deux est une projection de l'autre. Il y a deux jours, je n'avais plus le goût de vivre, je ne savais plus quoi écrire, j'étais dans l'impossibilité d'exprimer ce trouble psychologique qui s'est emparé de moi depuis que j'ai appris que ma lettre ne t'était pas parvenue. Il m'est difficile de te faire part des idées qui me traversaient l'esprit ou de te décrire l'atmosphère étouffante dans laquelle je me sens enveloppé. Dans l'un comme dans l'autre cas, je me vois dans l'incapacité de rendre compte de ce que je ressens. Il te sera alors aisé, à partir de mon état, de vérifier la théorie d'Einstein dans un cercle psychologique pur. Les deux situations ressemblent étrangement à deux lignes parallèles qui se rejoignent en un point du monde fini, que les simples d'esprit comme nous appellent l'infini ...