Une nouvelle publication sur la genèse de la presse nationale d'expression arabe au Maroc vient d'être éditée en langue française et se trouve depuis peu rangée aux étalages des principales librairies. Il s'agit d'un ouvrage de plus de 700 pages, entièrement focalisé sur le parcours biographique de l'un des dirigeants de la branche de Salé du Mouvement National, ainsi que sur l'oeuvre accomplie par ce patriote de la première heure, considéré par ses pairs comme l'un des acteurs les plus dynamiques de la vie politique au plan national et l'un des plus fervents défenseurs des libertés publiques au Maroc.

Saïd Hajji (1912-1942) a eu le mérite de poser la première pierre qui a servi de fondement à l'édification de la société civile. Le pays lui doit d'avoir pris l'initiative de revendiquer le droit d'association en tant que liberté publique fondamentale. Il était pleinement conscient que seul ce droit pouvait ouvrir de larges perspectives en permettant à chaque organisme de diversifier ses domaines d'intervention. Il était convaincu que seul ce droit pouvait aider à la création de groupements d'intérêts économiques, sociaux et culturels susceptibles de contribuer à l'émancipation de la société marocaine, de lui insuffler l'esprit d'entreprise et de stimuler son ardeur au travail.

Le livre ne se contente pas de restituer les grandes lignes du parcours biographique de cette figure emblêmatique du Mouvement National. Il présente, en outre, un choix de ses écrits littéraires et journalistiques ainsi que des informations inédites sur la lutte qu'il a menée pour atteindre ses objectifs.

L'intérêt de proposer au lecteur une telle publication réside dans le fait qu'elle jette un éclairage objectif sur ce que la jeunesse marocaine d'alors considérait comme une étape décisive dans l'harmonisation des rapports franco-marocains. Il met en valeur le palier d'objectifs que le Mouvement National s'était fixé pour instaurer entre les deux communautés, française et autochtone, un climat d'entente et de coopération devant aboutir à la reconnaissance des droits fondamentaux des nationaux à une vie de liberté et de dignité.

Le lecteur averti se rendra vite compte que ce nouvel ouvrage constitue une réplique à la très abondante littérature consacrée à cette période par les théoriciens du protectorat. Ne serait-ce qu'à ce niveau, il lui reconnaîtra un intérêt historique indéniable. De plus, il permettra au lecteur de l'espace francophone d'avoir accès à des textes initialement rédigés en langue arabe et de se familiariser avec un mode de conception de la vie politique et de présentation des évènements différent de ce qu'il a pu apprendre jusque-là à partir de la littérature coloniale.

Par ailleurs, la plupart des textes publiés dans le nouvel ouvrage peuvent être repris de nos jours sur les colonnes de la presse nationale, car ils abordent des problèmes sociaux qui n'ont évolué que peu ou prou depuis 70 ans, et demeurent ainsi d'une brûlante actualité. Il s'agit de thèmes qui reviennent comme un leit motiv: sauvegarde de l'héritage culturel, réforme de l'enseignement traditionnel, lutte contre l'ignorance et le charlatanisme, mobilisation des énergies et des ressources humaines. Il est temps d'éradiquer ces fléaux pour assurer enfin au pays les conditions optimales de progrès et de développement économique et social.

En dernier lieu, le regard porté par la jeunesse des années trente sur les problèmes à caractère religieux, l'invitait à ne pas faire d'amalgame entre les domaines respectifs du temporel et du spirituel. Il est à constater, comme l'a fait observer un lecteur du site dédié à la mémoire du disparu, que "comparée à la situation actuelle, la société marocaine semblait être beaucoup plus progressiste et libérale à l'époque" ... et que "l'oeuvre courageuse de si Saïd rappellera au monde que nous n'étions pas toujours dans une situation aussi lamentable et désespérée..."