L'ouvrage qui vient d'être publié en version française sur la genèse de la presse nationale d'expression arabe au Maroc, retrace la vie et l'oeuvre de l'un des principaux dirigeants de la branche de Salé du Mouvement National , dont le nom reste encore gravé dans la mémoire collective: Saïd Hajji (1912-1942). Il n'est certes pas conçu selon le schéma classique de la méthodologie historique, mais il n'en constitue pas moins un document de travail permettant de se faire une idée aussi précise que possible des aléas de la vie politique que le Maroc a connus au cours de la période charnière des années trente.

Saïd s'est engagé dès l'âge de 15 ans dans le militantisme actif en essayant d'organiser la société civile avec la création en 1927 de l'association Alwidad qui lui a servi de tremplin pour propager ses idées par l'intermédiaire de journaux manuscrits qu'l faisait recopier en plusieurs exemplaires afin d'en assurer une diffusion adéquate à Rabat, Fès et autres grandes villes où l'idée patriotique gagnait des couches de plus en plus larges de la population.

Le présent article n'a pas la prétention de reprendre en détail les principales étapes de la carrière politique et journalistique de Saïd Hajji - le lecteur est renvoyé pour cela à l'ouvrage qui lui est dédié - il se limite à certains aspects des réformes qu'il prônait et qui s'articulaient autour des thèmes suivants:

  1. promouvoir l'émancipation de la femme marocaine
  2. réveiller la jeunesse de son état d'inconscience et de léthargie
  3. Réviser les méthodes d'enseignement dans le but d'accorder aux cours d'arabe l'importance requise par l'enseignement d'une langue nationale
  4. Accorder la priorité aux questions sociales qui nécessitent la mise en oeuvre d'un train de réformes au niveau de tous les rouages sociaux.
  5. Mettre en pratique les réformes économiques consignées dans le Cahier des Revendications

L'émancipation de la femme marocaine était considérée comme l'une des préoccupations les plus sérieuses de la modernité à laquelle Saïd Hajji aspirait. Il a cherché à interroger le contexte social dans le but de provoquer un courant réformateur de nature à mettre un terme à l'héritage d'une tradition ancrée dana la dévotion collective et la soumission au modus vivendi patriarcal. Pour lui, l'idée de l'éducation de la femme marocaine devait mûrir dans les esprits afin de nous permettre de rattraper tout ou partie du temps perdu.

Que dire de la jeunesse marocaine que l'auteur accusait de vivoter en marge de la vie moderne? Cette jeunesse qui a pourtant poursuivi ses études dans les écoles publiques, a mal compris son rôle et n'a nullement rempli la mission qui lui incombait dans la vie sociale. Elle se nourrissait de paresse et se contentait de son lamentable niveau de médiocrité. Jeunesse insouciante, incapable du bien comme du mal, elle n'aspirait à aucune grandeur et était loin de penser à son prestige et, encore moins, à celui de la nation, qui fondait sur elle ses plus grands espoirs.

En matière d'enseignement, Saïd Hajji a critiqué la part belle accordée aux matières dispensées en langue française au détriment des cours professés en langue arabe. Il préconisait l'adoption d'une réforme de l'ensemble des programmes, quitte à faire appel à des enseignants de l'orient arabe pour tirer profit de leurs connaissances des techniques pédagogiques modernes. Les examens de fin d'année devraient être distingués des compositions trimestrielles et établis selon un calendrier ne varietur et porté à la connaissance des candidats dans des délais raisonnables. S'agissant de la Karaouiyine, il était temps d'y encourager la spécialisation par l'introduction des thèses de doctorat et l'adoption d'un système d'orientation destiné à faciliter les travaux de recherche.

En ce qui concerne les questions sociales, Saïd insistait sur l'urgence de mettre en oeuvre les principes d'une réforme sociale susceptible de contribuer au changement du cours de notre existence. Il mettait l'accent sur la nécessité de veiller à leur stricle application tant au niveau de la conduite individuelle qu'à celui du comportement collectif. Il estimait qu'il appartenait aux générations montantes de contribuer à la mise en oeuvre de cette réforme en se comportant en hommes responsables et conscients de leur devoir à la fois vis-à-vis d'eux-mêmes et de la nation qui compte sur la jeunesse pour retrouver le prestige de son glorieux passé.

Sur le plan économique, la crise que traversait le pays a provoqué une rupture d'équilibre entre la production et la consommation. Un fossé énorme s'est creusé entre l'état des besoins vitaux dont les nationaux souhaitaient la réalisation et leurs possibilités d'adaptation à la société de consommation qui les incitait à participer à la création de nouveaux besoins. Qu'il s'agisse du paysan, de l'ouvrier, de l'artisan manuel ou du petit commerçant, ils étaient tous condamnés à vivre au-dessus de leurs moyens et ont ainsi vu se multiplier les possibilités de dépenses à un moment où les moyens de leurs subsistances se réduisaient à la portion congrue.

Tels sont, grossièrement brossés, les thèmes que l'auteur a développés dans la partie de ses écrits journalistiques consacrée aux problèmes de la jeunesse, aux questions économiques et sociales et aux méthodes de l'enseignement. Il appartient désormais au lecteur d'aller à la découverte des autres thèmes qui jalonnent cette vaste fresque journalistique et qui sont les uns et les autres autant de sujets de recherche et de matières à réflexion. Il se rendra compte que ses écrits se présentent tantôt comme des plaidoieries, tantôt comme des réquisitoires, ce qui a fait dire à Robert Rézette, dans son livre sur "les partis politiques marocains":

"Saïd Hajji fut le meilleur polémiste de talent que connut le Maroc".