Almaghrib - Nouvelle série - No 1 - 16ème année - 7 avril 1952
Les circonstances ont voulu que ce journal revit 10 ans après la mort de Saïd Hajji qui avait consterné le Maroc, la jeunesse active et la presse libre en particulier. Tous ont déploré la perte de l'un des pionniers du Mouvement National les plus dynamiques, qui comptait parmi ceux qui ont voué leur vie à la lutte pour recouvrer les droits spoliés de leur pays, dont certains ne sont plus de ce monde, et d'autres attendent que soit accompli le sort qui leur est réservé, sans rien changer de leur ligne de conduite.
La direction du journal espérait faire paraître le premier numéro de la nouvelle série le jour même du 10ème anniversaire de la disparition de son fondateur, en témoignage de fidélité à sa mémoire ainsi qu'à l'esprit de continuité qui unit dans la même entreprise les vivants et les morts. Mais, pour des raisons indépendantes de sa volonté, elle n'a pas pu réaliser ce souhait dans toute sa plénitude.
Bien que 10 années se soient déjà écoulées depuis que nous avons été affligés par son départ, ses amis et ses compagnons - et Dieu sait s'ils sont nombreux - gardent de lui un souvenir renouvelé dans leur mémoire. Ils se rappellent à chaque occasion la vivacité de son esprit et l'ardeur qu'il mettait dans toutes ses activités, que ce soit par la parole ou par l'action. Il a laissé de lui un renom et une réputation qui ne s'effaceront jamais, quelle que soit la longueur du temps.
Mais il a laissé aussi un vide très difficile à combler dans le domaine où il exerçait l'essentiel de ses activités. Et ce vide, nous le remarquons aujourd'hui dans toute son étendue.
Dans quel domaine parmi les domaines d'activités qui attirent la jeunesse n'a -t- il pas eu le bras long? Il a pris part à tous les combats pendant la très courte période qu'il a passée parmi les vivants.
C'était un homme de lettres, un politicien, un journaliste, un penseur qui était cité en exemple chaque fois que surgissaient des problèmes compliqués et enchevêtrés auxquels il fallait trouver des solutions pratiques et pertinentes. Il devait la place privilégiée qu'il occupait parmi ses amis à l'intelligence et à la perspicacité dont il faisait preuve, ainsi qu'à un trait de caractère qui rejetait l'engourdissement et la lassitude, et à la grande expérience qu'il a acquise et dont beaucoup de personnes d'un âge plus avancé que le sien seraient heureuses de se prévaloir, à plus forte raison celles qui avaient le même âge que lui.
C'était un autodidacte au sens plein du terme. Dès sa première jeunesse, il a émergé au milieu de ses camarades et s'en est distingué par ses penchants vers les choses sérieuses et la réflexion sur les questions difficiles à résoudre parmi celles dont souffrait la société marocaine ainsi que sur les voies et moyens pour leur trouver des solutions adéquates.
Tous ceux qui l'ont fréquenté ont constaté chez lui un mouvement continu, un sérieux extrême, un esprit ordonné avec de la suite dans les idées et une forte capacité de création et d'innovation.
Saïd était l'homme des projets qu'il s'imaginait très vastes et jalonnés d'obstacles et de difficultés. Il en élaborait les plans et se mettait aussitôt à en entâmer la réalisation Il n'avait de cesse qu'il n'eût achevé l'oeuvre qu'il s'était proposé d'accomplir et ne lui eût ménagé des fondements solides.
Ainsi agissait Saïd dans maints domaines d'activités, soit pour son propre compte, soit en participation avec d'autres. Les difficultés ne faisaient que le renforcer dans sa détermination et son engagement et se laissaient aplanir devant la force inébranlable de sa volonté.
Il est difficile de s'imaginer qu'un jeune qui n'a vécu que 30 ans dans une société comme la nôtre, toute jonchée d'obstacles, et dans un climat pénible de frustration, puisse malgré celà constituer une société d'édition et d'impression, un journal quotidien, une imprimerie avec un équipement approprié, une revue mensuelle, sans compter les suppléments littéraires et une participation rédacionnelle dans des revues de parution antérieure.
Il a réussi tout celà avec le peu de moyens dont il disposait, et ne finissait de réaliser un projet que pour en planifier un autre, sachant combien la société marocaine avait besoin d'évoluer dans tous les domaines, et en particulier dans le domaine intellectuel. Il semait le bon grain pour qu'il pousse et donne ses fruits, fût-ce à un stade ultérieur.
Ce qu'il a entrepris a effectivement eu le mérite de former des jeunes qui font toujours honneur à leurs engagements à son égard, en se transmettant le flambeau qu'il portait. La famille qui veille sur le journal est de nouveau soudée autour de son fondateur pour faire revivre ce modeste projet que le disparu avait décrit dans l'éditorial du premier numéro en ces termes:
"... Avant et après tout, que cette nation vive à un niveau digne d'elle et de son passé et en parfaite symbiose avec la volonté de renouveau affichée par ses membres, et qu'elle avance dans la voie du développement comme toutes les autres nations, qui ont franchi de grandes étapes dans le domaine de la civilisation et du progrès véritable".
En faisant revivre un projet parmi tous les projets de Saïd, nous espérons réussir à lui rendre une partie de la reconnaissance qui lui est due.
Le comité de rédaction