Almaghrib - No spécial à l'occasion de la commémoration du 1er anniversaire de la disparition de Saïd Hajji - 6ème année - No 1189 - 11 mars 1943.
S'il était donné à un ami ou à l'un des intimes de Saïd de lui consacrer une biographie pour mettre en exergue les dons dont il était comblé, les caractéristiques qui le distinguaient et les projets qu'il initiait et avait la ferme intention de réaliser, tout le monde aurait découvert dans la personnalité du disparu nombre de qualités et de vertus qui ne se trouvaient réunies que rarement chez les jeunes de son âge, et se serait ainsi rendu compte de l'immense calamité provoquée par sa disparition.
Si Saïd se compte maintenant parmi les morts, et que seules restent de lui pour l'éternité sa renommée et l'oeuvre qu'il a accomplie, n'est-il pas de notre devoir, nous ses amis et ses compagnons de lutte, de penser à lui de temps en temps, d'énumérer ses actions et de prendre sa vie comme une source de lumière qui éclaire notre chemin, et ses idées comme autant d'enseignements pour nous préserver de nous engager sur des pentes dangereuses? Ne sommes-nous pas tenus, après l'avoir mis sous terre, de remplir notre devoir de fidélité à son égard en lui reconnaissant ce qu'il a fait comme bien et en rappelant à la mémoire collective les dons et les caractéristiques qui le distinguaient Nous avons une lourde dette vis-à-vis de toi, Saïd! Mais, nous ne ménagerons aucun effort pour nous en acquitter dans toute la mesure du possible. Tu peux reposer en paix, fidèle et sincère ami. Tu peux être tranquille en ce qui concerne les espoirs que tu nourrissais. Tes amis les prennent à bras le corps et mettront tout en oeuvre pour les exécuter.
Maintenant que nous avons décidé de publier ce numéro spécial à l'occasion de la commémoration du premier anniversaire de ta disparition, que puis-je écrire sur toi? Ta vie a été entièrement consacrée au travail et aux activités productives. Elle nécessite une étude approfondie tant elle est captivante et instructive. Ta première vie scolaire doit être présentée aux générations actuelles et à venir comme un exemple de dynamisme, d'endurance, de confiance en soi, de ferme volonté et d'ouverture sur l'avenir. Est-ce que les lecteurs ont entendu parler d'un jeune qui s'est formé lui-même et qui, n'ayant pas encore atteint l'âge de 15 ans, déterminait ses objectifs dans le cadre d'une planification rigoureuse des délais et des moyens pour les atteindre, se préparait à l'oeuvre qu'il se proposait d'accomplir, s'exerçait dans des activités d'une extrême importance et s'engageait dans les affaires les plus délicates? Est-ce que le lecteur a entendu parler d'un jeune de cet âge qui procédait à une répartition méthodique de son emploi du temps, fixant une heure pour approfondir sa culture et une autre heure pour former sa personnalité et corriger ses erreurs, réservant une partie de son temps à étudier les problèmes sociaux et à chercher la thérapeutique appropriée pour leur porter remède, jusqu'au jour où, ayant parachevé sa formation et estimé le moment venu de remplir la mission qu'il s'était fixée dans la vie, il a constaté qu'il en avait préparé le terrain, dressé les plans et vérifié toutes les hypothèses, si bien qu'il ne s'est jamais trompé de route et que toutes ses activités étaient couronnées de succès.
Saïd était un véritable prodige et ce, depuis son enfance. S'il avait vécu plus longtemps, il aurait été voué à un brillant avenir et nous aurait appris qu'il faisait partie de cette catégorie d'hommes qui savaient maîtriser les situations les plus délicates, et que le pays pouvait tirer profit de ses entreprises exaltantes, de la maturité de son esprit, de la fertilité de son intelligence, de son incessante activité et de sa fidélité à toute épreuve."Mais les vents emportent les navires là où ils ne souhaitent pas naviguer". Saïd observait son pays comme un médecin expérimenté. Dès son jeune âge, il diagnostiquait les causes qui le maintenaient à l'arrière de la caravane. Il enregistrait toutes les idées qui lui venaient à l'esprit ainsi que toutes les observations qu'il jugeait d'un certain intérêt. Il les soumettait à une réflexion minutieuse et, après avoir constitué une banque de données sur un sujet qui se rapportait au mal qui rongeait le corps de la nation, il se mettait à chercher les remèdes les plus efficaces. Sa réflexion n'était jamais le fruit de l'imagination. C'était un esprit délié et pratique dans tout ce qu'il initiait et entreprenait.
Nous lui avons souvent fait remarquer qu'il s'intéressait à des futilités, mais pour toute réponse il arborait un léger sourire et n'accordait aucune importance à nos observations. Il y a longtemps, Saïd a été interrogé sur les besoins immédiats de la nation, et il nous a répondu que le pays avait besoin de toute urgence d'une imprimerie. Une telle réponse, de par sa simplicité, n'était bien sûr pas de nature à nous convaincre; mais lorsque nous nous sommes trouvés sur le terrain de l'action, nous nous sommes rendus compte de la nécessité de disposer d'une imprimerie pour pouvoir faire face à certaines activités d'intérêt national. Mieux encore, nous nous sommes rendus compte que tout ce que nous voulions entreprendre, à quelque niveau que ce fût, était tributaire en tout ou en partie d'une imprimerie. Nous avons alors saisi pourquoi Saïd accordait la priorité des priorités à un tel projet, et nous avons redoublé de considération pour la hauteur de vues de notre regretté Saïd.
Ceci n'est qu'un aspect parmi les innombrables qualités qui ont fait son mérite. Ce n'est pas le lieu ici d'entrer dans les détails de toutes les manières d'être du défunt. D'autres aspects non moins importants le distinguaient, et dont quelques uns seulement parmi les plus dévoués de nos compagnons pouvaient se prévaloir. La disparition de Saïd peut, à juste titre, être considérée comme une véritable calamité et une grande perte pour la patrie. Sa famille n'est pas la seule à l'avoir perdu, ni ses amis, mais ce sont des espoirs ruinés avec sa mort, des talents anéantis, des activités ensevelies et des projets réduits à l'abandon: espoirs de toute une nation, talents d'une insigne rareté, activités dont il était à la fois l'initiateur et l'exécutant, projets dont il était l'âme et le pilier.
Que Dieu ait ton âme, saïd, nous donne le courage de nous armer de patience et nous aide à réaliser ce à quoi tu aspirais.
Abu Bakr Kadiri