(Abdelkrim Hajji est le frère cadet de Saïd Hajji)

La genèse de l’organisation politique

(Extrait du témoignage de Mohammed El Yazghi, Premier Secrétaire de L’Union Socialiste des Forces Populaires).

Dans l’allocution qu’il a prononcée pendant les cérémonies de célebration du 40ème jour de la disparition d’Abdelkrim Hajji, Mohammed El Yazghi, Premier Secrétaire de l’Union Socialiste des Forces Populaires, a consacré d’importants développements à l’affaire du Dahir Berbère, dont nous reproduisons les grandes lignes ci-après:

Mr El Yazghi a entâmé son panégyrique en mettant l’accent sur le fait que le rôle joué par le regretté Abdellatif Sbihi, qui avait été le premier à prendre connaissance du texte intégral du Dahir Berbère, revêtait aux yeux de l’histoire, un caractère primordial, car il avait mis l’intéressé en mesure d’en étudier les clauses dans leurs moindres détails, ce qui lui avait permis d’en informer en toute connaissance de cause le cercle de ses connaissances et amis, mais aussi et surtout d’en divulguer la teneure avant qu’il ne fût soumis à la publication au Journal Officiel. De plus, une telle circonstance présentait l’avantage de mettre à nu aussi bien les Ministres que tous ceux, parmi les hommes du Makhzen, qui faisaient traditionnellement partie de l’entourage du Souverain, qui n’ont pas jugé utile d’avertir le Roi du danger qu’un tel Dahir faisait courir à la nation et qu’il fallait tout mettre en oeuvre pour éviter de le soumettre à sa signature. Une telle précaution eût été utile à plus d’un titre et aurait évité que Mohammed V, qui était encore très jeune et n’avait accédé que depuis seulement trois ans à la magistrature suprême, de mieux prendre conscience de la gravité des mesures prises par l’administration coloniale, et de pouvoir réaliser, avant d’apposer sa signature sur le Dahir, l’impact que de telles mesures allaient exercer sur le plan de la législatiom du pays et l’incidence peut-être désastreuse sur la situation socio-économique qui en résulterait.

Devant la carence des pouvoirs publics, Abdelkrim n’a cessé de faire entendre aux jeunes patriotes qui l’accompagnaient qu’il appartenait à la jeunesse de se rendre compte de la gravité de la situation provoquée par l’adoption d’une politique systématique de confiscation des terres et des biens nationaux au profit de l’occupant étranger. Il n’avait de cesse de mettre en garde ses compagnons de lutte et de les inviter à tout mettre en oeuvre pour éviter que cette politique ne fît tâche d’huile et n’emportât tout ou partie du territoire national que l’administration coloniale qualifiait de “Maroc utile”. Il n’en demeurait pas moins que cette jeunesse a su se mobiliser selon des méthodes adaptées aux circonstances de temps et de lieu, grâce à la ténacité et au savoir-faire de chacun d’eux, et en particulier du jeune Abdelkrim qui se comportait comme un primus inter pares et s’était fixé comme objectif qu’il existait pour lui un lien de causalité entre la lecture du latif et l’espoir de mettre fin aux cas de calamités ou de crise grave constituant une menace pour la vie et les biens de la nation. Il a estimé que le Maroc traversait une crise politique sans précédent et que les circonstances exigeaient de recourir à la lecture du latif dans les mêmes conditions qu’en cas de sécheresse ou d’intempéries. Les Marocains ont répondu en masse à l’appel qui leur a été adressé.

C’était pratiquement le premier acte politique qui venait d’être accompli dans l’enceinte de la grande mosquée de Salé. C’était aussi l’une des premières manifestations de grande envergure jamais organisées dans notre pays.

Voilà ce qui s’appelle le vrai patriotisme. Voilà le mérite dont peut se prévaloir le regretté Abdelkrim Hajji qui a offert au Maroc le moyen de coordination des différentes activités publiques. C’est lui qui a ouvert la voie aux méthodes les plus modernes de l’organisation politique.L’art d’avoir su mener l’action de protestation avec autant de brio et d’esprit créatif a donné à réfléchir sur les moyens à mettre en oeuvre pour imprimer le point de départ à l’émergence du Mouvement National en 1932.

Abdelkrim Hajji, homme d’action et de sacrifice

(Extrait du témoignage de Kacem Zhiri, ex journaliste et ancien ministre)

Passant en revue les coins et recoins de la maison qui a vu naître Abdelkrim Hajji et où celui-ci a reçu une éducation morale et religieuse appropriée et a pu développer au contact de ses frères et amis le sentiment d’appartenance à une société tributaire de l’esprit patriotique qui devrait animer chacun de ses enfants, Kacem Zhiri s’est arrêté un moment à l’entrée d’une grande pièce qu’il considérait comme l’un des endroits les plus chargés d’histoire et, prenant la parole, il dit à l’assistance:

Si cette pièce pouvait parler, elle raconterait comment s’y était déroulée la première réunion qu’elle a abritée à l’occasion de la promulgation du Dahir Berbère le 16 Mai 1930 regroupant, parmi les nationalistes de Salé, , ceux qui ont été les premiers à se rendre compte du danger que représentait le Dahir incriminé pour la cause nationale. A la tête de l’assistance, on pouvait voir Abdellatif Sbihi entouré des cheikhs Ahmed El Jariri, Abou Bakr Zniber, du notable Ahmed Saboundji, de Mohammed Talbi et de bien d’autres figures emblêmatiques qui ont rédigé, entre les quatre murs de cette maison, le manifeste de protestation qu’ils ont décidé de soumettre à la haute appréciation du Sultan Mohammed V et de présenter aux autorités du Protectorat.

Kacem Zhiri a poursuivi son intervention en mettant en valeur les qualités intrinsèques dont Abdelkrim Hajji était l’un des rares patriotes à pouvoir s’en prévaloir, à savoir qu’il était un homme d’action, de fidélité et de sacrifice. Pour l’orateur. ces qualités ont accompagné l’intéressé pendant toute sa vie et en particulier depuis l’émergence de l’esprit patriotique aux environs des années trente et sa participation active au mouvement de protestation contre la promulgation du Dahir Berbère.

Kacem Zhiri a tenu à mettre l’accent sur le fait que l’intéressé approchait à peine de l’âge de la puberté lorsqu’il s’est mis à faire le tour des écoles coraniques de Salé, exhortant les maîtres de chacune d’elles à adresser leurs supplications à Dieu pour qu’Il entoure ses serviteurs de la grâce divine et déjoue les intrigues des mécréants.

“Dieu le magnanime, nous implorons Ta grâce pour nous aider à faire face aux évènements qui courent et à éviter qu’une scission n’intervienne pour nous séparer de nos frères les Berbères”.

Cet appel, qui a été scandé par tout un peuple d’un bout à l’autre de notre pays, a été repris aussi bien dans l’ orient arabe que dans la quasi totalité du monde musulman où les peuples de tous ces pays se sont solidarisés avec le Maroc en se considérant comme faisant partie intégrante du conflit et en lui prodiguant un soutien inconditionnel tant sur le plan matériel que moral. L’écho en est également parvenu en France où il a été accueilli avec force commentaires et admiration, d’autant plus que l’action de publicité faite autour du mouvement de protestation coincidait avec la genèse du Mouvement National qui a engagé pendant un quart de siècle tous les moyens de lutte pour faire accéder le pays à l’indépendance.

Cet appel, qu’Abdelkrim et ses compagnons de lutte n’ont cessé de divulguer, tambour battant, était comme la conflagration d’une bombe sur les plans de l’ennemi et une arme encore plus efficace pour donner aux forces d’occupation matière à réflexion . Il a permis en outre au peuple marocain de juger l’évolution de la situation politique avec clairvoyance, de remonter son moral et de s’engager avec encore plus de conviction et de détermination à poursuivre le combat pour la libération nationale.

Abdelkrim Hajji face au défi de l’histoire

(Extrait du laudatio dédié à la mémoire d’Abdelkrim Hajji par Nasr Hajji, ancien ministre au Gouvernement d’alternance présidé par Abderrahman El Youssoufi)

Nasr Hajji a commencé son allocution en reprenant les attestations de ceux qui l’ont précédé à la tribune pour mettre en valeur les qualités intrinsèques d’Abdelkrim Hajji, ainsi que son indéfectible attachement au pays de ses ancêtres. il a ensuite insisté sur le fait que l’homme a consacré sa vie à tout donner à sa famille, à sa ville natale, voire en de maintes occasions à la communauté nationale, sans rien réclamer en retour. Tout au plus, était-il en mesure de passer tant aux yeux des patriotes de sa génération que de ceux des gens de sa postérité, pour l’homme de lutte qu’il était et qui avait le privilège d’associer son nom à celui de son pays, auquel il a cherché à imprimer une orientation conforme à ses intentions et à ses idées de progrès.

Telles sont les qualités qu’Abdelkrim a héritées de son milieu d’origine: qualités qui font la fiertê des gens de Salé, qualifiés de gens qui portent la tête haute, ont le bras long et vivent dans une cité qui leur assure une existence de décense et de dignité.

Nasr Hajji a ensuite invité l’assistance à revenir à ce jour de 1930 pour se rappeler que la maison qui abrite aujourd’hui les cérémonies de commémoration du décès de notre cher Abdelkrim, a été le théâtre quasi permanent des multiples réunions qui s’y sont tenues et dont l’écho reste consigné dans les archives de la Résidence Française qu’un des petits fils du défunt, le jeune Younès fils d’Abderrahim a pu déterrer dans la masse des documents conservés dans le Centre de Documentation et d’archives de Nantes.

Lorsque les dirigeants nationalistes se sont rendus à la réunion qui a été organisée en 1930 dans cette maison qui a eu le privilège d’accueillir la première manifestation patriotique jamais organisée au Maroc, il y avait parmi les personnalités présentes le leader Allal El Fassi ainsi que Mohammed El Yazidi.

(Commentaires destinés à compléter l’allocution de Nasr Hajji et rendre certaines allusions intelligibles).

1. (L’année 1930 a été chargée d’évènements ayant contribué, au moins dans un premier stade, à créer un climat favorable aux visées de la puissance coloniale qui cherchait à instaurer au Maroc le même système d’administration directe que celui qui a été mis en place en Algérie. Elle a initié ainsi une série de réunions destinées à affiner la politique berbère de la France et à mettre au point les orientations nouvellement introduites au cours des débats de la dernière réunion qui a eu lieu au mois de mars 1930).
2. (Lorsque les patriotes marocains se sont rendus compte que les discussions sur le Dahir Berbère ont pris fin et qu’il allait bientôt être soumis à la signature du Sultan, ils ont décidé de se réunir au domicile d’Abdelkrim pour analyser la situation et évaluer les prises de position qu’ils devaient adopter à l’égard des rectifications apportées au texte initial. Ils ont chargé trois personnalités parmi les notables de la ville, le Cheikh Ahmed El Jariri, le sieur Ahmed Hajji, père d’Abdelkrim et le jurisconsulte Abou Bakr Zniber de rédiger un manifeste destiné à être soumis à la haute appréciation de Sa Majesté le Sultan avant d’être présenté au Résident Général de France au Maroc. Ce manifeste était accompagné d’une pétition regroupant autant de signatures que de participants à la réunion précitée).

Abdelkrim Hajji, monument de la lutte nationaliste au Maroc

(Extraits de l’allocution prononcée à la mémoire d’Abdelkrim Hajji par Abdelhamid Aouad, membre du Comité Exécutif du Parti de l’Istiqlal)

L’année 1930 a été chargée d’évènements ayant contribué à créer un climat favorable à la puissance coloniale qui souhaitait mettre en place au Maroc le même système d’administration directe que celui instauré en Algérie. L’administration du Protectorat a initié une série de réunions destinées à mettre au point les orientations qu’il fallait donner à la politique berbère de la France. La dernière de ces réunions, datée du mois de Mars 1930, a permis à la puissance dite protectrice de parachever le texte du projet du Dahir Berbère et d’en faire un manifeste qui reconnaissait la spécificité de l’entité berbère, tant sur le plan linguistique que sur celui des lois coutumières qui l’éloignaient des modes de gestion propres à la population d’origine arabe, libéraient le Sultan en sa qualité de chef suprême de la loi musulmane. de la juridiction des affaires berbères et donnaient compétence judiciaire aux assemblées traditionnelles qui appliquaient le droit coutumier.

Le peuple marocain s’est dressé comme un seul homme contre l’occupant pour affronter ses visées colonialistes, que ce fût à Salé où le mouvement de rejet du Dahir Berbère a pris naissance, que ce fût aussi à Rabat ou à Fès, où les évènements ont pris de l’ampleur après les arrestations opérées dans les rangs des protestataires et les violentes manifestations qui s’y sont soldées par des peines d’emprisonnement. Les patriotes ont appris que la nation était consciente que ses martyrs restaient debout sur le champ de bataille et que le patriote emprisonné était aussitôt remplacé par un autre patriote décidé à subir le même sort. Telle était du moins la conception qu’avaient les patriotes de la première heure comme Abdelkrim Hajji qui avait toute sa vie combattu en silence, sans rien demander en retour.

Mr Aouad s’est dit persuadé que la conduite de cet homme est un exemple qui nous est donné comme contribution de l’homme au réveil de notre conscience nationale, Pour notre part, nous nous abreuvons à chaque instant de cette conduite toute imprégnée de don de soi, de prédisposition toujours en éveil d’accomplir un acte de portée nationale, de fidélité aux principes, de persévérance dans l’action et de nécessité d’aligner notre comportement à une conduite exemplaire que beaucoup ont intérêt à considérer comme une source d’inspiration si l’on veut agir avec discernement et se comporter en homme d’honneur.

Abdelkrim Hajji, qui a imprimé son empreinte dans l’histoire de la ville de Salé et dans celle du Maroc dans son ensemble, pour avoir joué les premiers rôles dans l’émergence du Mouvement National doit sortir de l’ombre dans laquelle il a vécu de son vivant en tant que soldat inconnu pour ne pas priver les générations qui se suivent de rendre à César ce qui est à César et éviter que certaines personnes s’attribuent abusivement des prises de position qui ne sont pas les leurs, ou donnent à croire qu’ils ont participé à des évènements historiques auxquels ils ont cru utile d’afficher leur nom sans y avoir jamais participé.

Hommage à Abdelkrim Hajji pour son apport à la cause nationale

le 29 janvier 1990 un vibrant hommage a été rendu à Abdelkrim Hajji pour sa paticipation active au combat politique au sein de la famille Istiqlalienne,

le 7 Mars 2003, au cours de la seance d’ouverture de la Table Ronde organisée à Salé sur l’historique de la prise de conscience du phénomène du nationalisme, l’orateur a mis l’accent sur la contribution d’Abdelkrim au mouvement du réveil de l’esprit patriotique au Maroc

le 17 Avril 2004 Abou Bakr Kadiri a prononcé une véritable élégie funèbre en l’honneur du disparu. Il n’a pas tari d’éloges à l’égard de son compagnon d’armes au point où ce discours peut être considéré comme un hommage posthume à Abdelkrim Hajji pour les inestimables services qu’il a rendus à la nation.

Hommage à Abdelkrim Hajji de son vivant

Il m’est agréable de saluer du haut de cette tribune un patriote des plus éminents, un frère des plus nobles et un ami des plus dévoués, le sieur Abdelkrim Hajji, dont j’ai eu le privilège de me prévaloir d’une solide amitié que nous avons entretenue pendant plus de soixante ans, au cours desquels j’ai pu apprécier à leur juste valeur le bien-fondé de sa droiture et la rectitude de ses jugements, et deviner le fond de sa pensée, ce qui me permettait de placer à un très haut degré d’estime l’exemplarité de son dévouement pour la cause nationale, la solidité de son attachement aux valeurs patriotiques et l’accent de vérité qui a toujours émané de la sincérité de son loyalisme.

Abdelkrim Hajji n’ a jamais eu recours aux procédés publicitaires pour mieux se faire connaître et faire valoriser par l’opinion son apport à la cause commune. Ceci est dû à une noblesse de caractère doublée d’un altruisme qui lui a souvent fait oublier ses intérêts personnels au profit d’un don de soi hérité de l’éducation de base qu’ il a reçue dans son milieu familial. Il a mis à profit la somme des expériences qu’il a accumulées dans sa jeunesse sous l’autorité de son père, Ahmed Ben Harti Hajji, homme d’une grande ouverture d’esprit, qui a eu le mérite d’éduquer ses enfants, dont Abdelkrim, dans le respect des idées de progrès et de patriotisme, ce qui les a mis en mesure de s’engager à un âge précoce dans le combat politique et d’être, au sein des jeunes de leur génération, parmi ceux qui nourrissaient une conscience nationale ayant atteint un degré de maturité des plus élevés, bien avant le tournant des années trente.

Notre amitié remontait à plusieurs décades, passant par des hauts et des bas selon que nous partagions les mêmes idées ou avions des opinions divergentes. Mais, dans tous les cas de figure, je n’ai pu voir en lui que le patriote honnête, qui vivait avec décense et chasteté, sans se démarquer par rapport à la noblesse de son coeur, à la pureté de ses intentions, à la clairvoyance de ses idées et à la fermeté de résolution dans ses prises de décisions. Il a toujours été de moeurs policés, agissant en silence et poursuivant ses objectifs dans le calme et la sérénité.

L’action de protestation contre la promulgation du Dahir Berbère avec l’appel à la déclamation du Latif est à porter essentiellement à l’actif du patriote Abdelkrim Hajji qui en a élaboré le projet dans le fond de sa conscience et en a assuré seul l’exécution. Je le dis en toute connaissance de cause. Abdelkrim a le mérite d’avoir initié une méthode d’intervention susceptible de remettre en question toute une politique sur laquelle la puissane colonisatrice s’était fondée pour asseoir son autorité sur le pays. Il est incontestasblement l’âme de tout le mouvement de protestation qui a été enclanché à Salé avant de se poursuivre le 4 juillet à Rabat et à Fès. Au demeurant, l’action entreprise dans ces deux villes a été couronee par deux grandes manifestations auxquelles les forces d’occuoation ont fait face en procédant à l’arrestation de plusieurs manifestants et en leur faisant subir les pires des atrocités.

Appel au réveil de l’esprit patriotique

En prenant l’initiative de mener une action politique d’éclat, avec l’organisation d’un vaste mouvement de protestation contre le Dahir Berbère, la ville de Salé se doit de perpétuer la mémoire de ses enfants les plus dynamiques, et en particulier de ceux qui ont fait honneur à la jeunesse slaouie:

1. Abdellatif Sbihi, qui a été le premier à prendre connaissance du texte du Dahir et à rendre compte du danger qu’il représentait pour la cause nationale:
2. Abdelkrim Hajji, qui faisait partie de la jeunesse engagée à cette époque et qui, aussitôt après avoir été mis au courant que le Dahir Berbère venait d’être promulgué, s’est mis à arpenter la ville dans tous les sens, se rendant d’une école coranique à l’autre, avant de s’arrêter à l’entrée d’une école que dirigeait un fqih du nom de Mohammed Bensaid. Nous allons réciter ensemble, dit-il au fqih, la prière du Latif pour implorer Dieu de nous préserver des calamités ourdies à nos dépens par le gouvernement de l’Administration Coloniale

Les enfants de l’école qui ont vite appris le mot d’ordre qu’il fallait répéter à l’unisson, se sont mis à le réciter en choeur. Le Contrôleur Civil n’a pas tardé à être mis au courant des évènements qui se préparaient à Salé. Sa première réaction était de savoir les tenants et aboutissants du Latif et de se demander ce qu’il cachait de surnaturel pour provoquer une telle ruée des jeunes écoliers vers l’esplanade de la grande mosquée. Il ne pouvait pas comprendre que l’idée du Latif vînt d’Abdelkrim et que ce fût Abdelkrim lui-même qui en élaborât le texte et le fît divulguer a travers la ville.

Toujours est-il que l’idée a fait son chemin et que plus personne n’accordait désormais crédit aux us et coutumes du passé et encore moins aux rites désuets de la période antéislamique. dans lesquels la puissance protectrice voulait nous maintenir, voire au besoin nous y faire revenir de gré ou de force.

Hommage posthume à Abdelkrim Hajji

Nul mieux qu’Abou Bakr Kadiri ne saurait se prévaloir des liens d’amitié qui l’ont lié à son compagnon de lutte, le patriote Abdelkrim Hajji . Nul ne pourrait émettre un jugement de valeur sur les qualités intrinsèques de l’intéressé et prétendre ainsi lui rendre, à titre posthume, l’hommage qui lui est dû pour les prises de position qu’il a toujours défendues et les actions qu’il n’a cessé d’entreprendre envers et contre tout dans l’intérêt de la nation.

Abou Bakr Kadiri a tenu tout d’abord à mettre en valeur l’éducation exemplaire que son ami a reçue dans un cadre familial éminemment patriotique, sensible à toutes les contingences sociales du milieu qui l’environnait et ouvert aux exigences du monde extérieur qu’il se devait de prendre en considération tout au long de son existence. Il a ensuite rappelé que le regretté Abdelkrim devait les premiers pas de son éducation de base à sa ville natale, puis il s’est rendu en Grande Bretagne pour y parfaire ses connaissances de la langue anglaise, et a pris son bâton de pélerin pour s’inscrire avec son jeune frère Said à l’université de Naplouse, avant d’aller poursuivre leurs études à Damas, puis au Caire. Aux termes de ses études, Abdelkrim a exercé une activité commerciale aux Etats Unis d’Amérique.

Les expériences qu’il a pu accumuler jusque-là ont contribué à mettre son talent au service de la cause patriotique, et ce à un âge précoce. Abdelkrim faisait en effet partie de l’avant-garde de la jeunesse progressiste d’avant le tournant des années trente. Il a participé avec un enthousiasme sans précédent aux répétitions nécessitées par les pièces de théâtre placées sous la direction d’Abdellatif Sbihi, qui lui a confié l’un des rôles les plus importants de la pièce historique “Haroun Al Rachid et les Baramykes”. Mais, lorsque la promulgation du Dahir Berbère a été divulguée par le même Abdellatif Sbihi, le patriote Abdelkrim faisait partie d’un groupe d’amis qui se sentaiewnt motivés pour faire front à une telle provocation. AIbdelkrim s’est alors porté au-devant d’un mouvement de protestation qui l’a conduit à faire le tour des écoles coraniques et à arpenter la ville dans tous les sens pour inviter la population à se rendre en masse à la grande mosquée où devait avoir lieu une lecture collective du Latif aussitôt après la prière du vendredi. Il expliquait à chacun qu’une telle manifestation avait pour objet de solliciter la míséricorde divine pour faire échouer la politique de séparation ethnique que l’occupant entendait mettre en place pour avoir les mains libres d’appliquer le dicton “diviser pour règner. Abdelkrim n’a pas tardé à être convoqué par l’administration coloniale pour répondre du rôle qu’il jouait au sein du mouvement de protestation.

Abou Bakr Kadiri a ensuite mis l’accent sur le fait qu’ Abdelkrim était un élément essentiel au sein du Mouvement National et du groupement d’Action Nationale. Il a pu établir des liens solides avec Ahmed Balafrej et Mohammed El Yazidi bien avant 1930. Son séjour aux Etats Unis a été la seule cause qui l’a empêché de figurer parmi les signataires du Manifeste de l’Indépendance.
Après l’assassinat du syndicaliste tunisien Ferhat Hachad, Abdelkrim a été incarcéré au mois de décembre 1952, avec la bagatelle de 5.000 adhérents au Parti de l’Istiqlal. Il a été aussitôt transféré au sud marocain où il a dû passer deux années entre Goulimine et Aghbal Ou Hardous.

Ceci n’a pas empêché Abdelkrim de poursuivre la lutte politique en tant que membre influent au sein du Parti de l’Istiqlal tant pendant l’épreuve de force menée contre l’occupant étranger qu’au lendemain de l’indépendance en continuant d’être partie intégrante des structures du parti aussi bien au niveau régional qu’à l”échelon national. C’était un élément très dynamique au niveau de Salé et de sa région, qu’il a représentées pendant de longues années aux assises du Conseil National. Aussi, eu égard aux efforts qu’il n’a cessé de déployer et aux activités qu’il a ainsi mises au service de la nation et du parti, la branche de Salé du Parti de l’Istiqlal appuyée par les adhérents qu’elle compte dans cette ville ont pris l’initiative de lui rendre un vibrant hommage à l’occasion de la commémoration des Evènements du 29 Janvier 1944 qui ont fait de nombreux martyrs parmi les victimes ayant payé de leur vie leur soutien inconditionnel aux objectifs du Manifeste de l’Indépendance.

En conclusion, Abou Bakr Kadiri a rappelé que sa connaissance d’Abdelkrim remontait à plus de 70 ans et qu’elle avait connu des hauts et des bas. Mais il a ajouté, pour finir, qu’il n’a vu en lui, dans tous les cas de figure, que l’homme intègre, empreint d’un patriotisme des plus sincères, qui surveillait ses propos, était d’un naturel généreux, fidèle à sa noblesse de lignage, à la pureté de ses intentions, à l’amitié franche et fidèle qu’il vouait à ses connaissances et amis. C’était un homme résolu dans ses principes, qui agissait dans le calme et en silence et qui était d’une abnégation et d’un esprit de sacrifice que très rares étaient ceux parmi ses compatriotes qui pouvaient s’en prévaloir.

Abderraouf Hajji.