Almaghrib - 1ère année - No 25 - 14 juin 1937
Un ami m'a demandé pourquoi "Almaghrib" ne publie pas les résultats des examens. Pour toute réponse, je lui ai adressé un sourire narquois, qui traduisait le ridicule de ces résultats déshonorants pour un pays aussi vaste et aussi dense que le nôtre. Nous sommes restés muets un court moment au cours duquel j'ai ouvert la liste des admissibles pour y jeter un nouveau coup d'oeil dans le souci qu'elle m'arracherait peut-être à ce désespoir. qui pénètre l'homme dès qu'il se met à penser à l'inculture d'une nation, à qui on ne veut pas ouvrir la porte pour qu'elle se débarrasse des griffes de l'ignorance et de la dégradation.
N'est-ce pas une honte et une infamie que dans une nation de plus de huit millions d'âmes, le nombre d'élèves admissibles au certificat d'études primaires ne dépasse guère quelques dizaines, et les candidats reçus à l'examen du cycle secondaire se comptent sur le bout des doigts? Quant aux examens de spécialisation, inutile d'en parler. Ils vous dispensent de compter le nombre de Marocains qui s'y sont présentés. Comment veux-tu, cher ami, publier les résultats de ces examens? Et d'abord peut-on les appeler examens, et considérer les résultats proclamés comme des résultats?
Comment veux-tu publier une liste aussi dérisoire de candidats admissibles, alors que tu as sous les yeux le journal égyptien qui t'informe que le nombre de candidats à l'examen du cycle secondaire dépasse les 15.000. Quant au certificat d'études primaires, il est brigué par un nombre incalculable de candidats. Malgré celà, la presse et la classe des intellectuels ne cessent de critiquer l'ignorance de leur nation et de réclamer la généralisation de l'enseignement.
Comment veux-tu publier nos résultats alors que les pays arabes produisent chaque année un nombre impressionnant d'étudiants doués de grandes qualités intellectuelles, et envoient une mission après l'autre en occident, pour s'y spécialiser dans les disciplines de leur choix, tandis qu'au Maroc nous ignorons jusqu'à la notion même de mission? Notre gouvernement n'y pense guère, bien qu'il envoie régulièrement en France les enfants d'immigrés venus s'installer chez nous pour qu'ils s'instruisent aux frais des contribuables que nous sommes.
Assez, mon ami, de nous leurrer en pensant que nous sommes dans la voie d'une ère nouvelle. Assez de nous bercer d'illusions en nous imaginant en train de faire des pas en avant. Il est affligeant de voir les autres nations progresser à pas de géant pendant que nous régressons. Peut-être ne me crois-tu pas. Dans ce cas, il te suffit de comparer les résultats du certificat d'études primaires au cours des 6 ou 7 dernières années aux résultats de l'année en cours pour te rendre compte que non seulement nous n'avons pas progressé, mais que nous avons au contraire marché à reculons. Mais, qui sait? Peut-être vont-ils publier un communiqué pour dissiper ces obsessions réelles; et le privilège que nous aurons récolté de l'enseignement sera un communiqué.