Almaghrib - No 52 - 2 septembre 1937 (à partir de ce No, le journal aura une parution quotidienne)

La presse nationale en est encore au tout début de son existence. Dans cette première étape de son parcours, elle cherche à asseoir sa place dans la vie marocaine, et ne cache pas son ambition de devenir un de ses fondements les plus solides et une tribune du haut de laquelle les esprits réformistes pourront s'adresser à la nation et lui montrer la voie à suivre.

Mais bien qu'elle en soit encore à ses premiers balbutiements, nous sommes très optimistes quant à l'avenir qui l'attend et qui ne pourra être que radieux, compte tenu de l'accueil qu'elle a rencontré auprès de la nation et de la considération du public des lecteurs pour les efforts qu'elle n'a cessé de déployer au point où le journaliste marocain est devenu le refuge des plaintes et le réceptacle des confidences de toutes les couches sociales. Villes et villages ainsi que nombre de contrées dans les campagnes les plus reculées adressent aux comités de rédaction de tous les journaux marocains des informations écrites ou des articles destinés à être imprimés tels quels, comme il n'en a jamais été le cas auparavant.

Autant donc le journaliste marocain affiche de l'optimisme quant à l'avenir de sa profession, autant il est conscient de la gravité de la responsabilité qui lui incombe; c'est à lui qu'il appartient de réveiller les consciences endormies; et c'est sur les colonnes des journaux que les hommes de culture remplissent leur devoir en dévoilant les maux qui rongent la nation, tout en élevant sa voix et en portant bien haut son message.

La presse n'a pas pour mission de s'éterniser dans l'énumération de tous les torts subis par les nationaux, pas plus qu'elle n'est le miroir de toutes les calamités qui les frappent, torts et calamités qui, selon certains, reflètent l'image des faits les plus saillants de leur vie. Certains correspondants parmi les lecteurs demandent avec insistance au journaliste de publier intégralement tout ce qu'ils lui adressent dans leur courrier comme informations.

Il faut pourtant se rendre à l'évidence que la compréhension d'un mal ne suffit pas à le guérir et que la mission essentielle de la presse est de contribuer à trouver des solutions adéquates pour éradiquer ces torts et ces nuisances et à expliquer aux masses populaires les multiples voies et moyens pour atteindre l'objectif des réformes exigées par les temps qui courent, sans lesquelles le Maroc ne pourra en aucune manière se réveiller de sa léthargie.

La presse marocaine a devant elle un vaste domaine d'études des aspects qui ont besoin de rénovation, et a beaucoup à faire pour expliquer au menu peuple les moyens pratiques auxquels il doit avoir recours ainsi que les méthodes compatibles avec l'esprit de justice et d'équité que le gouvernement se devra de respecter s'il veut se distancer de cet esprit malsain qui règne au sein de son appareil administratif et qui en fait un foyer de nuisance et de chaos alors qu'il devrait être un instrument d'ordre et de service public.

La mission de la presse est de la plus haute importance, et il appartient au journaliste marocain de persévérer dans la voie qui est la sienne, tout en oeuvrant dans l'intérêt d'une évolution rapide de sa profession, évolution qui doit tenir compte des bouleversements de notre époque; et ce n'est qu'à cette condition qu'il remplira sa mission journalistique d'une manière qui puisse satisfaire sa conscience professionnelle et ses orientations réformistes d'une part et les exigences du public des intellectuels d'autre part.

C'est ainsi que la presse sera considérée comme digne de respect aux yeux du commun des Marocains, et que le public apprendra qu'elle joue un rôle primordial dans son émancipation, le délivrant des chaînes de l'immobilisme et du carcan du colonialisme, et renforçant la sympathie qu'il lui porte et les encouragements qu'elle attend de lui.