De Beyrout à Salé, le 9 avril 1931
Très cher et dévoué frère Abderrahman,
Que puis-je écrire aujourd'hui dans cette lettre? Rien de nouveau du côté de Beyrout ... ou plutôt rien de nouveau sous le soleil comme disent certains. Nous nous portons à merveille, comme vous le souhaitez, et espérons qu'il en va de même pour vous.
Notre éminent professeur Mustafa Alayni a inauguré un cycle de cours d'art oratoire, à raison d'une séance par semaine, avec la participation des trois rangées supérieures de la promotion scientifique. Les élèves apprennent comment avoir une élocution aisée et soignée. Le professeur corrige au fur et à mesure les erreurs linguistiques et grammaticales, et désigne, pour chaque orateur, un candidat parmi les élèves de la classe pour lui porter la contradiction et critiquer son discours. Nous passons ainsi une heure de cours parmi les plus agréables de la semaine. Les discours sont prononcés d'une manière improvisée et excluent le recours à un texte écrit. Hier notre frère Abdelmajid a fait un exposé oral sur la vie économique des nations. Il a été contredit et critiqué par notre frère Abdelkrim. L'orateur et son contradicteur ont tous les deux excellé dans leurs exposés. Le professeur m'a désigné comme orateur pour la semaine prochaine. J'ai l'intention d'aborder le système de l'enseignement au Proche-Orient avec ses forces et ses faiblesses. Quant à notre ami Abdelhadi Zniber, il se porte très bien et vous transmet ses cordiales salutations. Il compte se présenter à l'examen du Certificat d'Etudes Primaires de langue française et paraît extrêmement studieux.
La semaine dernière, nous t'avons informé de l'arrivée des subsides. Mais nous devons attirer ton attention sur la nécessité de nous envoyer l'argent suffisamment à l'avance pour nous permettre de faire face aux dépenses fixes en temps opportun. Il ne t'échappe pas que nous avons dû affronter des dépenses imprévues. De plus, l'administration de l'établissement demande aux retardataires - et ils sont peu nombreux - de payer leurs arriérés avant la fermeture de l'école pour les vacances d'été. Nous avons un besoin urgent d'argent, et nous te prions de nous envoyer le reliquat de ce qui nous est dû au titre de l'année scolaire en cours le plus rapidement possible. La dotation de la saison d'été doit, elle aussi, nous parvenir avant la fin des cours pour nous permettre de nous organiser et de poursuivre normalement nos études sans être gênés par des soucis d'ordre financier. Nous te prions d'expliquer tout celà à notre père affectueux, en lui demandant de nous prendre dans ses bonnes grâces et en lui tranmettant notre bon souvenir mêlé d'amour et de dévouement.
Ton frère Saïd Hajji