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Le Ministre des Affaires Etrangères à Mr Lucien Saint, Résident Général de France à Rabat
Bordereau d'envoi No 2232 du 5 décembre 1929 portant
sur la colonne "observations":
"Pour information avec prière de me renseigner si possible sur les auteurs de la lettre à Abdelkrim".
sur la colonne "désignation des pièces":
"Copie d'une lettre du Département adressée en date de ce jour au Ministère des colonies et à l'Ambassade de France à Londres" ainsi qu'une "traduction française d'une lettre des nommés Abdelkrim Hajji et Saïd Hajji de Salé".
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Le Ministre des Affaires Etrangères au Ministre des Colonies
Le 5 décembre 1929
Vous avez bien voulu me faire tenir, sous le No 383 du 25 novembre 1929, en original et traduction française, une lettre arabe adressée de Londres au chef riffain Abdelkrim et me demander, de la part du Gouverneur de la Réunion, si elle pouvait être remise à son destinataire.
En vous remerciant de cette intéressante communication, j'ai l'honneur de vous retourner ci-joint les documents qui en sont l'objet.
J'estime tout à fait inopportun de remettre à Abdelkrim aucun document de ce genre, qui serait de nature à lui faire croire qu'il compte encore des partisans résolus au Maroc.
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Le Ministre des Affaires Etrangères à Mr Urbain Blanc, Délégué à la Résidence Générale de France à Rabat
Par bordereau 2232 du 5 de ce mois je vous avais transmis la traduction d'une lettre adressée à Abdelkrim par deux Marocains habitant à Londres.
J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint, à toutes fins utiles, copie d'une lettre, No 582, du 21 décembre 1929, par laquelle notre Ambassadeur à Londres me fournit les renseignements que je lui avais demandés sur la personnalité des signataires de la lettre dont il s'agit.
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Le Contrôleur Civil chef des Services Municipaux de Salé à Mr le Contrôleur Chef de la Région Civile de Rabat
En vous retournant ci-joint la lettre confidentielle de M. le Chef du Service des Contrôles civils No 12 S.C.C. du 4 janvier, j'ai l'honneur de vous donner ci-dessous les renseignements demandés sur les auteurs de cette correspondance et sur leur famille.
La famille Ahmed Hajji est une famille notable de Salé alliée aux meilleures familles de la ville.
Le père des jeunes correspondants d'Abdelkrim, Sidi Ahmed Hajji, homme de 55 ans environ, possède une fortune qui peut être évaluée à un million environ et représentée par des immeubles. Parmi ces derniers, figure une importante construction européenne où était installée l'ancienne poste de Salé. Cet immeuble doit rapporter à son propriétaire un revenu mensuel approximatif de 5.000 francs.
Le chef de famille réside habituellement à Salé, mais il effectue annuellement au moins un voyage à Londres où il a installé un commerce d'objets marocains - anciens ou nouveaux - qu'on dit florissant.
Sidi Ahmed Hajji a cinq enfants mâles:
Abderrahman
l'aîné, âgé environ de 30 ans, jeune turc. Illettré en français, mais assez lettré en arabe. Célibataire. Sans aucun emploi. Hébergé par son père.
Esprit remuant. Toujours à la tête de tous les mouvements. Promoteur de la mise en circulation à Salé d'une liste de souscriptions en faveur des musulmans de Jérusalem au cours des derniers évènements palestiniens.
Visite très souvent l'ancien Vizir de la Justice Bouchaïb Doukkali. A fait de nombreux séjours à Londres où il n'est plus retourné depuis un an.
Mohammed
âgé d'environ 26 ans, réside habituellement à Londres. C'est lui qui s'occupe du commerce installé dans cette ville par son père. N'a plus reparu à Salé depuis plus d'un an. Passablement lettré en arabe. Parle couramment l'anglais et suffisamment le français.
Abdelmajid
âgé d'environ 22 ans. A fréquenté pendant quelque temps l'Ecole des Fils de Notables de Salé, mais a quitté cet établissement pour compléter ses études musulmanes à Naplouse (Palestine). Parle un peu le français - infirme, pied-bot.
Abdelkrim - âgé de 19 ans et Saïd - âgé de 17 ans: ce sont les auteurs de la lettre à Abdelkrim.. Ont fréquenté l'Ecole des Fils de Notables de Salé pendant 2 mois. Ne disent que quelques mots français, mais parlent suffisamment l'anglais.
De retour d'Angleterre depuis une huitaine, se sont mis en instance d'obtenir un passeport pour être autorisés à rejoindre à Naplouse leur frère Abdelmajid et y compléter eux-mêmes leurs études musulmanes.
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Le Contrôleur Chef de la Région Civile de Rabat à Mr le Ministre Plénipotentiaire (Service du Contrôle Civil) - Rabat
Comme suite à votre lettre No 12 SCC-I du 4 janvier 1930 relative à une correspondance adressée à Abdelkrim, j'ai l'honneur de transmettre ci-joint copie d'une note de Mr Gabrielli, Chef des Services Municipaux de Salé, concernant l'identité, les attaches de famille et les antécédents des frères Abdelkrim et Saïd Hajji.
Ces deux jeunes gens appartiennent à une famille notable de Salé, alliée aux familles du Pacha Mohammed Sbihi, Aouad, Hassar et Msettes. Le pacha de Salé et Ahmed Hajji sont mariés avec les filles de Mohammed Msettes, notable de cette ville. Mekki Sbihi, frère du Pacha, est l'époux d'une fille d'Ahmed Hajji. Les deux fils aînés de ce dernier vont épouser deux filles Aouad.
(Les informations contenues dans cette note sont en partie erronées, Abderrahman n'ayant séjourné qu'une seule fois pendant un an et demi en Angleterre, le pacha n'ayant pas épousé l'une des filles de Mohammed Msettes, ici il y a erreur sur la personne puisque c'est le demi frère du pacha, Omar Sbihi qui s'est allié à la famille Msettes. En ce qui concerne les projets de mariage des frères Abderrahman et Mohammed, c'est le second qui envisageait de s'allier avec la famille Aouad, tandis que son frère aîné, le premier nommé allait se marier deux ans plus tard avec l'une des filles du Cadi de Salé, Abdelkader Touhami. - Note de l'éditeur)
Abdelkrim Hajji s'est présenté à cette région demandant un passeport pour se rendre avec son frère Saïd à Naplouse où ils comptent poursuivre leurs études arabes dans une médersa qui leur aurait été recommandée à Londres. Dans cette dernière ville, ils auraient séjourné environ 2 mois; ils étaient élèves au "Marbel School".
Hajji Abdelkrim, interrogé au sujet de la lettre adressée à Abdelkrim, a déclaré l'avoir rédigée dans les circonstances suivantes :
"A Londres se trouve une colonie musulmane assez importante comprenant en grande partie des Anglais convertis, des Hindous, des Egyptiens et quelques Marocains. En arrivant dans la capitale britannique, nous avons été mis en relations avec certaines personnalités musulmanes qui m'ont posé de nombreuses questions intéressant la situation sociale, politique et économique du pays. J'ai été surtout interrogé sur Abdelkrim et son action dans le Rif. Je n'ai pu leur fournir beaucoup de renseignements à ce sujet car, étant au Maroc, je ne m'étais pas intéressé à cette question. J'ai remarqué chez tous les musulmans que j'ai fréquentés à Londres un fort mouvement de sympathie en faveur d'Abdelkrim. J'ai subi l'influence du milieu et, à l'instar de ce qu'ont fait la plupart de mes coreligionnaires de là-bas, j'ai rédigé la lettre que vous connaissez.
Je regrette mon acte et en demande pardon au Gouvernement Protecteur, car il émane d'un jeune sans expérience, qui a agi inconsciemment et a été trompé par les gens qu'il a fréquentés. J'appréhende le courroux qu'il provoquera chez mon père et les autres membres de ma famille qui ne manqueront pas de juger sévèrement mon attitude". (sic)
Abdelkrim est un tout jeune homme, mais il semble appartenir à cette catégorie de jeunes Marocains exaltés, qui sont à la merci de toutes les suggestions, et qui voient dans la terre d'Islam d'Orient, le pays qui détient le monopole de la science islamique. C'est un agitateur en herbe qui mérite d'être surveillé.
D'ailleurs, au cours d'une visite qu'il me fit précédemment, Abdelkrim Hajji m'a déclaré avoir décidé d'aller s'instruire hors du Maroc, parce que ses compatriotes recevaient dans leur pays une éducation défectueuse. Il a ajouté que le Gouvernement britannique et le Consul Royal d'Egypte à Londres lui avaient promis toutes facilités pour son installation avec son frère Saïd à Naplouse.
J'attends vos instructions pour la délivrance des passeports demandés.
Signé: Peyssonnel
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Le Commissaire Résident Général de la République Française au Maroc à Mr le Ministre des Affaires Etrangères - Paris
Votre Excellence a bien voulu me transmettre copie d'une lettre de notre Ambassadeur à Londres au sujet de deux jeunes Marocains, habitant cette capitale, auteurs d'une lettre à Abdelkrim.
Je n'ai pas manqué de faire rechercher la filiation au Maroc de ces deux jeunes gens, leurs attaches de famille, dans le dessein de déterminer si leur initiative ne répondait pas à des fins politiques.
Par une circonstance heureuse, les deux jeunes correspondants d'Abdelkrim sont de retour d'Angleterre. Ils ont pu être interrogés. Le compte-rendu ci-joint du Contrôleur Civil Chef de la Région de Rabat précise le caractère irréfléchi d'une initiative qui a eu, entre autres effets, celui d'alarmer une famille de Salé jusqu'ici convaincue de loyalisme à notre égard. (!)
L'incident serait donc sans portée si les déclarations du jeune Abdelkrim Hajji ne soulignaient pas la mise en oeuvre d'une influence étrangère.
Ce jeune homme, en effet, déclare qu'il s'est trouvé à Londres dans un milieu d'Anglais convertis, d'Hindous, d'Egyptiens, de Marocains où le chef rebelle du Rif rencontre une vive sympathie.
L'influence de ce milieu l'a conduit, par esprit d'imitation, dit-il, à se manifester auprès de l'exilé. Son jeune frère, Saïd Hajji, s'est associé à ce geste.
L'un et l'autre ont exprimé leurs regrets à l'instigation toute naturelle de leur famille désireuse de nous faire oublier une incartade de jeunesse. Notre intérêt se serait accommodé, sans peine, d'une solution bienveillante, si Abdelkrim et Saïd Hajji se résolvaient à se fixer au Maroc, au milieu des leurs. Mais ils introduisent une demande de passeports, pour se rendre à Naplouse, où ils prétendent continuer leurs études.
Cette Résidence ne pense pas - surtout après la faute commise - qu'il soit possible d'acquiescer à une pareille demande. Elle est donc décidée à refuser les passeports. Votre Excellence appréciera, sans doute, que ce geste est nécessaire.
L'évolution de nos jeunes protégés doit se faire par nous et pour nous. Il n'y a ni raison ni intérêt à accepter qu'elle se fasse par d'autres, contre nous.