Almaghrib - No spécial à l'occasion du 40ème jour de la disparition de Saïd Hajji - 6ème année - No 937 - 29 avril 1942
Le destin nous avertit à tout moment et nous prodigue ses conseils avec les évènements qui nous prennent de court et nous agressent d'une étonnante manière afin de nous amener à savoir qui nous sommes et à en prendre conscience.Y a-t-il une langue plus emphatique que celle du destin? Elle est d'une éloquence accessible à tout être qui goûte l'amertume de la vie. Bien qu'elle soit muette, sa rhétorique fend les coeurs. Les langues qui s'expriment par le silence s'énoncent et s'expliquent clairement.
C'est grâce à de tels évènements, qui sont la cause de cette réunion, que se laisse convaincre celui qui s'abandonne à la fatalité et qui espère que la chance lui sourit et le conduit dans la voie du salut. Ce sont ces évènements qui enseignent à chaque génération le sens de la vie, et font entrer dans ses convictions le passage rapide qu'elle effectue à travers le temps qui trompe les êtres vivants, sans que ceux-ci ne s'arrêtent dans leurs activités ou ne renoncent à la recherche des biens de ce monde, et sans se soucier des ombres trompeuses qui les environnent - point noir entre tous. Le temps qui s'écoule sans activité est une pure perte; mais la mort surprend même en pleine activité celui qui consacre son temps à servir sa nation et sa patrie.
Nous rions beaucoup, et sans gêne. Les meilleurs d'entre nous accourent vers la tombe, comme s'ils prennent la fuite devant notre impuissance et les déboires de la vie. Le héros intelligent n'exposera pas inutilement sa vie au péril s'il ne trouve pas au moment de l'épreuve quelqu'un qui l'encourage à affronter le danger, - et la vie est ainsi entièrement faite de dangers. Messieurs, nous voulons être à l'écoute des avertissements, mais comment y parvenir? Devons-nous gémir, pleurer, nous montrer impuissants au point de faire peu de cas de l'ordre de la vie, ou bien devons-nous effacer nos larmes et laisser nos coeurs s'endurcir à la douleur qui nous saisit aux entrailles? Qu'est-ce donc que l'avertissement? Nous nous prosternons devant Ton pouvoir divin. Tu es le Guide et l'Autorité Suprême. Tu nous as inspiré comment tirer les enseignements des avertissements et des conseils des occasions perdues, qui ne se remplacent pas, et qui passent sans que l'on s'en rende compte. Elles laissent des traces sur leur passage. Tous leurs signaux indiquent que nous devons être comme Saïd, qui n'avait pas besoin de passer toute la durée de sa jeunesse pour saisir la philosophie de la vie et se mettre à sertir de ses propres mains le collier de son prestige.
On eût dit qu'il faisait ses adieux à l'éternelle culture de son pays, et prenait congé de son génie qui a triomphé et grandi au fond des coeurs. Comment peuvent-ils se consoler d'avoir perdu en toi l'homme le plus dévoué de tous, Saïd? Sa noblesse d'âme était inscrite au front du destin avec la plus grande précision. De temps à autre, il jette ce regard pertinent qui perce le voile qui cache l'espoir afin de voir le plus loin possible avec la volonté d'atteindre le but pousuivi qui n'est autre que le prestige escompté, et là, son génie se double de talent et il se sent transporté d'une chaleur qu'il transmet à tout son entourage.
La grandeur d'âme est synonyme de clairvoyance
Elle permet de grimper jusqu'aux hautes instances
A chacun ses soucis, mais quand ils font défaut,
On n'a droit à aucun prestige, tant s'en faut.
L'épée a été plus rapide que la justice, oh héros de la jeunesse! Le destin a remarqué que Saïd avait du génie, en voyant sa conduite s'adapter à la course du temps à l'instar des astres dans leur mouvement de rotation. On eût dit que la mort a pris parti pour ses détracteurs, et l'a arraché pour qu'ils dorment tranquilles. Mais le pourront-ils après sa disparition?
Si la mort savait ce qu'il cherchait à atteindre par sa volonté, elle l'aurait épargné pour qu'il continuât d'oeuvrer à sa manière dans l'intérêt de sa patrie et de sa nation. Dors, chair de notre chair, Repose-toi loin de l'hypocrisie de ce monde, oh fleur de la jeunesse! Tu as rempli une grandiose mission historique, et l'histoire qui restitue fidèlement les actes individuels et collectifs, a enregistré tout ce que tu as fait pour accomplir ton devoir vis-à-vis de ton pays.
Pendant que tu étais encore parmi les vivants, tu donnais l'exemple avec les activités que tu entreprenais et qui sont désormais inscrites sur le registre de l'éternité. Le prestige qui t'a accompagné hier est en train de bâtir autour de tes multiples qualités un sanctuaire par dessus le temps qui passe, qu'aucun sanctuaire ne pourra jamais égaler. Ce sera un lieu de pélerinasge pour les jeunes de toutes les générations à venir, qui te rendront hommage et diront à haute voix, et avec le meilleur des accents: "Dieu est grand". C'est ainsi que vous, les jeunes, serez avertis.
Othman Mettai