Dès que la nouvelle de l'arrestation des dirigeants du Parti National a été propagée, des manifestations de grande envergure ont été organisées dans les principales villes du pays. Les plus importantes de ces manifestations ont eu lieu à Salé, Kénitra, Fès et Oujda.
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Rassemblement à la grande mosquée de Salé
Sur les directives de Mohammed ben Hassan Elwazzani, Ahmed Maâninou a exprimé l'entière solidarité du Parti "Qawmi" avec le Parti National dans la dure épreuve qu'il venait de subir et a fait part à ses dirigeants de la branche de Salé que son mouvement allait se joindre à eux pour participer aux manifestations projetées. Une réunion de coordination a permis d'adopter une position commune, les deux partis ayant convenu d'organiser conjointement des tournées dans les souks et les lieux publics pour inviter les commerçants à fermer leur boutique et se joindre au rassemblement à la grande mosquée de Salé. Au cours de cette tournée, il a été procédé à l'arrestation de deux responsables du parti, Mohammed Bekkali et Mohammed ben Mekki Kadiri, qui ont été sur le champ traduits en justice et condamnés à un mois de prison ferme.
Le rassemblement a eu lieu comme prévu le 27 octobre 1937 à l'occasion de la prière de l'Asr, qui se tient aux environs de 16 heures. La présence de Saïd Hajji a été remarquée bien qu'il n'ait pas pris la parole à cette occasion comme il l'a toujours fait, peut-être par souci de ne pas s'exposer inutilement à une arrestation arbitraire qui l'éloignerait pendant une très longue période de la scène politique. En revanche, Ahmed Maâninou s'est fait remarquer par son absence bien qu'il ait donné le mot d'ordre aux militants de son parti de participer à la manifestation.
Conscient de ce qui allait lui arriver, Abou Bakr Kadiri a improvisé un discours au cours duquel il a exprimé les plus vives protestations du mouvement national dans son ensemble à la suite des arrestations des dirigeants du Parti ainsi que l'entière solidarité de la nation avec eux. Il a saisi cette occasion pour rappeler les principales revendications du peuple marocain, à savoir les libertés publiques, en particulier la liberté de presse, de réunion et d'association, la liberté syndicale et la liberté de doléances. Dès qu'il a terminé son dicours, l'orateur a été conduit manu militari au siège du contrôle civil, et a été aussitôt écroué conformément à la décision prise par la Résidence Générale de France à Rabat qui prévoyait un an à deux ans d'emprisonnement ferme pour toute personne ayant contrevenu aux ordres de l'autorité publique en prenant la parole à la mosquée.
A la sortie de la mosquée, la foule des fidèles, toutes tendances politiques confondues, s'est organisée en cortège clamant d'une seule voix la prière du "latif" . La manifestation à laquelle ont solidairement appelé dans des discours exaltants Mohammed Azouzi et Abdeslam Bensaïd s'est dirigée vers le domicile du pacha pour lui faire part de la protestation unanime de la population de Salé contre les méthodes qu'utilise l'Administration pour réduire les mouvements patriotiques au silence. A leur arrivée devant la maison du pacha, les deux orateurs ont été arrêtés et condamnés à un an de prison. D'autres manifestants ont dû subir le même sort en se voyant infliger des condamnations allant d'un mois à trois mois d'emprisonnement. Quant à Abou Bakr Kadiri, il a été condamné à un an de prison ferme.
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Grande manifestation à Kénitra
Répondant à l'appel des membres du bureau régional du parti, la population de Kénitra a participé massivement à la manifestation de solidarité conduite par le responsable du Parti National dans cette ville, Mohammed Diouri. Cette manifestation a été marquée par de sanglantes échaufourrées entre les manifestants et le service d'ordre qui se sont soldées par des morts et plusieurs dizaines de blessés.
Les responsables régionaux ont tous été incarcérés et condamnés pour la plupart d'entre eux à deux ans de prison, avant d'être transférés dans les régions sahariennes où ils ont été soumis aux travaux forcés et condamnés à supporter des conditions climatiques rigoureuses auxquelles ils n'étaient pas du tout habitués. Ils ont été ensuite conduits à la prison civile de Casablanca où ils ont été regroupés avec les autres prisonniers politiques ramenés de différentes régions où ils étaient détenus individuellement ou par petits groupes.
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Les manifestations de Fès
La ville de Fès a connu plusieurs manifestations auxquelles ont pris part, aux côtés des militants et des sympathisants du Parti National, les adhérents du Parti "Qawmi" de Mohammed ben Hassan Elwazzani. Ces manifestations ont eu lieu dans un climat extrêmement tendu. Une grève générale a été suivie dans tous les secteurs d'activités. L'armée d'occcupation a investi les artères et les places publiques de la ville. Partout, des échaufourrées ont opposé les manifestants aux forces armées. Les manifestations étaient conduites par deux des principaux responsables de la branche de Fès du Parti National: Abdelaziz ben Driss et Hachmi Filali qui se relayaient pour haranguer les foules par de fougueux discours patriotiques.
Comme à Salé et à Kénitra, les manifestations de Fès se sont terminées par l'arrestation d'un nombre impressionnant de patriotes et leur incarcération dans les mêmes conditions que dans les deux villes précitées. Parmi les personnalités qui ont été arrêtées et emprisonnées il y avait, outre les orateurs ben Driss et Filali, le poète Mohammed Elqarry, qui devait succomber sous la torture qui lui a été infligée dans son lieu de détention, Mohammed Ibrahim Kettani ainsi que beaucoup de responsables régionaux et de militants des deux partis.
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Manifestation d'Oujda
La ville d'Oujda a été le théâtre d'une très grande manifestation de solidarité avec les dirigeants arrêtés au meeting du Parti National à Casablanca. Cette manifestation qui a été conduite par le patriote Abdeslam Elwazzani a groupé une foule extrêmement nombreuse de militants et de sympathisants des deux partis. Là-aussi, le même scénario s'est répété avec les arrestations en masse et la condamnation à diverses peines d'emprisonnement.
Au lendemain de ces évènements qui ne se sont pas limités aux seules villes citées ci-dessus à titre d'exemple, le Général Noguès s'est rendu le 31 octobre à Fès où il a prononcé devant les notables de la ville, les représentants des différentes professions et la presse étrangère d'expression française publiée au Maroc, un discours dans lequel il a justifié le recours à la force armée pour venir à bout de l'effervescence qui règnait dans les villes prises d'assaut par les manifestants du mouvement nationaliste, et laissé entendre qu'il allait continuer de faire appel à l'usage de la force chaque fois fois que la situation politique l'exigeait.
Abderraouf Hajji