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Texte repris du livre "la littérature arabe au Maghreb" de Mohammed ben Abbas Kabbaj.

Saïd Hajji faisait partie de la jeunesse éveillee et consciente; il était plein de vivacité et d'enthousiasme, avait une vision constructive, toute d'admiration pour l'héritage prestigieux légué par ses glorieux ancêtres, et avait comme objectif principal la reconquête de notre souveraineté et le rétablissement de notre pays à la place qui lui revenait dans le concert des nations. Il était parmi les protagonistes qui avaient milité dans les rangs du Mouvement National dont les activités étaient débordantes d'ambitions.

Il a reçu les premiers rudiments de sa formation dans sa ville natale de Salé. Lorsqu'il a atteint l'âge de l'adolescence, il partit pour le Moyen-Orient pour y parfaire son éducation aux Universités du Caire et de Damas où il suivit les cours dispensés par les cheikhs les plus réputés. Mais son penchant pour la presse l'a conduit à se consacrer pleinement à la profession journalistique, convaincu qu'elle offrait, en cas de réussite, la possibilité d'exercer une profonde influence sur le réveil des peuples tout en constituant le moyen le plus efficace d'incitation aux prises de conscience parmi les nations.

Saïd, dont nous traçons ici un rapide portrait, était un exemple vivant sur la scène nationale. Il était cité pour son dynamisme parmi les nombreux amis de son entourage. Les lecteurs du journal "Almaghrib" qu'il avait créé dans des circonstances difficiles, à l'époque où le colonialisme aveugle serrait les doigts sur les rênes pour réduire les hommes libres de ce pays au silence, se souviennent des articles et des analyses qu'il publiait sur les colonnes de ce journal, et de l'influence considérable qu'il exercait sur la jeunesse en particulier et le reste de la nation d'une manière générale.

Parmi ses écrits, nous relevons cet appel à l'adresse de cette jeunesse inconsciente:

"La jeunesse marocaine a tourné le dos à la culture, et s'est laissée entraîner par un environnement malsain que vous ne sauriez approcher sans risque de contagion qui vous terrasse et vous fait perdre conscience en vous faisant agir sans penser aux conséquences de vos actes. La vie de débauche qui tue l'âme et transforme le corps humain en un corps animal se dresse sur votre chemin, fait appel à vos instincts refoulés et provoque en vous les pires des sensations. La jeunesse n'a pas la volonté de se dépasser pour un meilleur idéal parce que sa formation n'est pas solide, que sa culture est superficielle et que l'éducation qu'elle a reçue n'a pas pénétré le fond de son être pour qu'elle se rende compte qu'il existe une vie meilleure que celle qu'elle mène et qu'il est des sensations qui excitent mieux les sens que cet air étouffant dans lequel elle se débat".

Le texte de cette citation déborde de vivacité et d'incitation à une plus grande prise de conscience des responsabilités qui incombent à chacun d'entre nous.

Un an après la disparition de Saïd Hajji, le cercle de ses amis et de ses connaissances ainsi que nombre d'intellectuels qui manifestaient au défunt un fort sentiment d'admiration, ont organisé une journée commémorative au cours de laquelle poètes et hommes de lettres ont pris la parole, qui pour exprimer en poésie la profonde tristesse qu'ils ressentaient en cette douloureuse circonstance, qui pour dédier à la mémoire du disparu le témoignage sincère de la pérennité du souvenir qu'ils garderont de lui et de l'oeuvre qu'il a entreprise et laissée derrière lui comme une symphonie inachevée.

Le grand historien Mohammed ben Ali Alaoui, exprimant le sentiment d'affliction général, a dit dans un accent d'une émouvante affection:

"Saïd est rentré au Maroc la coupe pleine de connaissances qu'il devait aux instruments de la culture que sa soif du savoir lui avait permis d'acquérir. Mais celà ne lui suffisait pas. Ce qui lui importait avant tout, c'était de voir son peuple atteindre le niveau de progrès auquel étaient arrivés les pays du Moyen-Orient. Son but était d'amener ses concitoyens à avoir l'élan nécessaire qui permet d'aspirer à la grandeur. Il a jeté un regard sur les générations dont se composait la société marocaine, et constaté qu'elles avaient une méconnaissance totale de ce que leur cachait l'avenir et qu'elles étaient dans l'ignorance de ce qui pouvait leur arriver. Il a alors pris sur lui de tout mettre en oeuvre pour réveiller les esprits endormis et donner le goût du travail à ceux qui se laissaient aller à la paresse de la vie facile et improductive; il a pris son bâton de pélerin, marchant avec patience, conseillant ou déconseillant, exigeant de lui-même des efforts parfois inhumains pour le bien-être des autres. Il a porté pendant sa très courte existence un fardeau des plus accablants jusqu'au jour où ses forces se sont totalement amenuisées, compromettant gravement sa santé, avant de l'exposer irrémédiablement à la sentance divine".

Le poète et homme de lettres Abdelkader Hassan a abordé le côté productif des activités du défunt, disant notamment:

"Saïd, tu as vécu plein de confiance en toi-même, plein de confiance en Dieu, plein de confiance dans toutes tes entreprises. Tel le croyant ancré dans sa croyance dont Dieu remplit le coeur d'un souffle de sa force, et que l'on voit persévérer dans ses activités en totale confiance sans fléchir ni faiblir, tu as oeuvré et oeuvré, tracé quantités de programmes, eu quelques succès, mais tes aspirations étaient encore plus grandes que tes entreprises; elles dépassaient de loin tes programmes et les succès que tu remportais, elles étaient à l'image de tes espoirs et de la vision que tu avais d'un Maroc libre et définitivement engagé dans la voie du progrès".

L'auteur a terminé ses citations par les vers suivants d'un poème composé par Abdelghani Skirej, et que nous avons soumis à une traduction libre comme suit:

Héros de noble souche, dors en paix sous la grève,
Prosterné devant Dieu, loin de toute lâcheté,
Tes soucis eux-mêmes se sont accordé une trêve,
Il te suffit d'endurer pour l'éternité
Ce que le temps ne peut effacer comme un rêve
Tant tu as souffert pour le bien de la Cité.
Laissons ainsi l'Histoire, témoin d'une vie brève,
t'immortaliser en vrai motif de fierté.

Que d'écrivains, que de poètes et hommes de lettres ont chanté les louanges du disparu, ce que ne saurait traduire cet aperçu rapide sur une vie pleine d'entrain et de dynamisme. Saïd Hajji s'est éteint en l'an 1361 de l'hégire, correspondant à l'année 1942 de l'ère chrétienne.

Mohammed ben Abbas Kabbaj.