Imprimer
Également disponible :  Arabic (اللغة العربية)   English (United Kingdom) 

Almaghrib - No 102 - 11 février 1939

L'intérêt porté à la Karaouiyine par le milieu marocain grandit de jour en jour. Les penseurs de tous bords sont convaincus qu'il faut réformer cette institution. Mais cette réforme n'apparaît pas clairement à tous. Elle a besoin d'être soulevée à tout instant et en chaque circonstance, parce que les espoirs fondés sur cette université imposent à tous ceux qui s'y intéressent de bien réfléchir à son avenir pour la faire progresser, quitte à profiter de l'expérience des autres universités, et en particulier d'Al Azhar et de Zaytouna qui sont devenues, grâce à l'évolution qu'elles ont connue et aux réformes qui y ont été introduites, deux puissants piliers de formation des étudiants qui réunissent la culture ancienne à la culture vivante des temps modernes.

Plusieurs années vont s'écouler avant que la Karaouiyine ne s'ouvre à un courant réformateur susceptible de satisfaire ceux qui s'intéressent à la science dans ce pays. Les éléments qui ont la haute main sur la Karaouiyine n'ont aucun rapport avec la vie nouvelle et ignorent tout ce que l'humanité a vécu comme évolution et bouleversements. Aussi est-il tout-à-fait bien que la conversation ne se relâche pas sur cette université et que la discussion sur les moyens de la réformer redouble d'intensité, parce que si l'on y adopte un train de réformes appropriées, il sera possible de l'adapter à l'université de Marrakech et à d'autres universités qui doivent être créées dans les différentes régions du Maroc.

Maintenant que la période des examens à la Karaouiyine approche, il est de notre devoir de lui prêter une attention particulière en soulevant la question de la rectification de ce que ces examens comportent comme anomalies, avec l'espoir que des mesures de nature à les atténuer soient prises à la lumière du débat public qui va s'instaurer à leur sujet.

  • La premiere anomalie qui attire l'attention est que l'université de Fès a choisi une voie qui n'est celle d'aucune autre université en ne faisant aucune distinction entre les examens et les interrogations écrites. Dans les autres universités, les examens sont prévus pour permettre à l'élève d'obtenir le certificat d'études primaires ou l'attestation de fin d'études secondaires et revêtent ainsi un caractère officiel. Quant aux interrogations écrites annuelles ou saisonnières, elles n'ont qu'une valeur d'appréciation scolaire.

    Pour passer d'une classe à l'autre, l'élève de la Karaouiyine est obligé de se présenter chaque année à l'examen et doit donc fournir un effort soutenu sur plusieurs années. Ces examens devraient normalement être remplacés par des interrogations trimestrielles. Celui qui obtient la moyenne des notes sur les trois interrogations de l'année doit être admis à passer à la classe supérieure sans être obligé de se présenter à un examen de passage. En revanche, celui qui n'obtient pas la moyenne requise, devra se présenter à un examen de passage après les vacances scolaires et ne devra être interrogé que dans les matières où il a obtenu des notes insuffisantes.

    Ces interrogations saisonnières présentent en outre l'avantage d'entraîner les élèves à la rédaction à laquelle il faut accorder un intérêt particulier afin de créer entre les élèves une certaine émulation qui peut être un excellent stimulant pour les amener à redoubler d'effort et à s'acquitter correctement de leurs devoirs scolaires. La plupart des élèves de la Karaouiyine savent les règles de grammaire, la conjugaison et la rhétorique, mais ne se sont jamais entraînés à écrire d'une manière simple et limpide. Si on introduit le système des exercices et des devoirs scolaires à faire à domicile, et que l'élève s'applique à rédiger pendant toutes les années du cycle primaire et du cycle secondaire, son style sera d'une clarté qui unit l'élégance à la simplicité.

  • La seconde anomalie qui attire l'attention dans le système des examens secondaires à la Karaouiyine est qu'ils se déroulent en une seule session, si bien que l'étudiant qui ne réussit pas à cette session est obligé de refaire l'année, alors que les examens dans le monde entier se déroulent en deux sessions, la première après la fin de l'année scolaire et la seconde après les vacances d'été, ce qui permet à l'élève qui n'a pas réussi de profiter de ses vacances scolaires pour réviser ses cours et tenter sa chance de gagner une année. Le maintien d'une seule session ne peut conduire qu'à une perte de temps et provoquer une certaine lassitude préjudiciable à la poursuite des études.

  • La troisième anomalie est l'absence de ponctualité en ce qui concerne la fixation de la date de l'examen. Celle-ci n'est annoncée que quelques jours seulement avant cette date; souvent aussi, la proclamation des résultats est reportée à des dates ultérieures, si bien que l'étudiant reste dans l'indécision, ne sachant ni s'il a réussi ni s'il a échoué pour se préparer à l'examen oral. Il est donc indispensable que les dates de l'examen, aussi bien écrit qu'oral, soient proclamées deux ou trois mois à l'avance et ne fassent l'objet d'aucun changement ni report quelles que soient les circonstances. De plus, les examens doivent se dérouler dans une courte durée, à raison d'un examen portant sur deux matières par jour.

Telles sont quelques observations sur les examens de la Karaouiyine que nous notons aujourd'hui avec l'espoir qu'elles contribueront à lever les anomalies et les désordres qui y règnent.