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Le supplément littéraire du journal Almaghrib -No 10 - 16 juin 1938

A l'approche de la saison estivale, le mois qui précède les vacances scolaires et la fermeture des écoles se distingue des autres mois de l'année par une intense activité parmi les élèves, un intérêt accru chez les parents d'élèves, ainsi que par une effervescence inhabituelle dans les milieux qui sont en rapport avec la vie scolaire ou universitaire. Tous les regards sont braqués dans la même direction. Tout le monde attend. On ne parle que des examens et des résultats auxquels ils vont aboutir.

Lorsque les résultats sont affichés, une grande agitation gagne les candidats. Les uns manifestent leur joie en dansant, tandis que d'autres se lamentent de tristesse. Un groupe quitte la salle des examens après avoir pris connaissance des résultats, l'esprit calme et tranquille, comme si le succès ou l'échec n'avait pour lui aucune espèce d'importance. Un autre groupe déplore le manque de chance, car il savait tout sur le bout des doigts sauf la leçon sur laquelle a porté l'interrogation de l'examen; il n'a pensé à aucun moment qu'il allait tomber sur cette leçon qu'il a négligée en raison de sa trop grande facilité. Un troisième groupe plein d'ironie avoue n'avoir appris que la leçon sur laquelle a porté l'interrogation écrite, et que cette heureuse circonstance lui a valu d'avoir une excellente note et de réussir à l'examen. Un dernier groupe s'est occupé pendant toute l'année scolaire de choses qui ne le regardaient pas, et n'a senti un certain regret qu'à l'annonce des examens. Il avait l'air maussade et l'esprit inquiet, en se décidant à se présenter à l'examen comme s'il s'agissait d'une loterie. S'il réussit, il sera comblé de bonheur, mais en cas d'échec, il est dès à présent repentant et contrarié.

Ce sont là autant d'images qui restent gravées dans l'esprit du candidat lorsqu'il rentre dans la vie active. Il aime à s'en souvenir et à les faire revivre chaque fois que la période des examens approche, obnubilant l'esprit des élèves, préoccupant les cercles et les organisations et remplissant un grand vide dans les colonnes des journaux qui publient les résultats assortis de commentaires et de critiques, et mettent l'accent sur les nouvelles méthodes de l'enseignement.

L'avenir de la nation dépend de ce mois de l'année et des progrès réalisés sur le plan de la réussite scolaire qui n'apparaissent à l'évidence qu'après l'annonce des résultats des examens. Il n'est dès lors pas étonnant que toute la nation s'intéresse à ces résultats, et il n'est pas exagéré de constater que les gouvernements leur vouent un intérêt bien plus grand que celui qu'ils accordent aux projets de nature à affermir la nation sur le plan matériel.

L'enseignement n'est pas une affaire marginale qui n'intéresse qu'une partie de la nation; il est l'affaire de tous, aussi bien des hommes que des femmes, faute de quoi il serait difficile d'établir une distinction entre eux et les animaux qui marchent à quatre pattes.

Le mois des examens revêt une extrême gravité dans l'histoire des nations. Il est partout accueilli chaque année avec déférence et avec le souci de faire un nouveau pas en avant. Il ne se passe pas sans créer une agitation dont l'écho se répercute à travers tout le pays, et sans que l'administration chargée de l'enseignement fasse le point devant la nation en annonçant les progrès réalisés au courant de l'année écoulée et les perspectives pour l'année d'après. Nous avons entâmé ce mois, mais où est l'agitation provoquée par la période des examens dans notre milieu? Est-ce que la Direction de l'Enseignement et ses structures administratives rendent compte à la nation du résultat de leur gestion du secteur de l'éducation? "A l'ouest rien de nouveau". Qu'il serait à propos d'appliquer le titre de ce film célèbre à notre nation dans tous les domaines de son existence, et en particulier dans le secteur de l'enseignement.

Il est inutile d'essayer de chercher une atmosphère d'examen ou de souhaiter voir les gens se précipiter sur les tableaux d'affichage pour s'enquérir des résultats fraîchement proclamés. Il est tout aussi vain de remarquer que les élèves déploient une quelconque agitation, ni que leurs parents marquent un certain intérêt pour cet évènement, ni que les milieux de l'enseignement manifestent une activité qui sortirait de l'ordinaire. Rien de tout celà n'est palpable ni ne risquera de l'être tant que la nation n'apprécie pas la science à sa juste valeur, n'y déploie pas les efforts nécessaires, ne cherche pas à réaliser à son profit tout ou partie de ce qu'elle demande et se contente de ne demander que ce qu'elle souhaite.

Malheur à toute nation qui ne valorise pas l'enseignement et ne fait rien pour le porter à un degré plus élevé. Malheur à un peuple qui engage des dépenses excessives pour des futilités, et qui est avare de quelques dirhams destinés à une collecte pour la réalisation d'un projet bénéfique pour la nation avec comme objectif de la sauver de l'atmosphère étouffante de l'ignorance. Le père de famille se plaît à organiser les fêtes de mariage de son fils et à y dépenser allègrement tout son argent. Mais il se plaint de la crise et crie misère chaque fois qu'on lui demande de fournir ne serait-ce qu'un tout petit effort pour permettre à son enfant d'étudier correctement.

Nous organisons des fêtes et nous multiplions les réceptions pour nous remplir le ventre à la moindre occasion. Lorsqu'un grand spectre fait son apparition dans une ville, nous nous empressons de le recevoir avec tous les honneurs que nous croyons devoir lui rendre; nous l'adulons dans des rassemblements autour de la grande bouffe; nous rivalisons d'ingéniosité dans la préparation des plats, mais nous n'accordons aucun intérêt à un étudiant studieux, comptant parmi les hommes dont la nation peut être fière des connaissances qu'il a acquises et de l'attestation des études supérieures qu'il a obtenue, pour qu'il soit considéré comme un exemple à suivre pour les jeunes de sa génération et un homme cultivé au sein d'une société où sévit le fléau de l'ignorance, et pour qu'il soit respecté, que son opinion soit prise en considération et que ses démarches soient couronnées de succès.