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Al Taqaddoum - No 15 - 23 mars 1942

Nous avons perdu notre ami Saïd; cette perte nous a rempli le coeur de tristesse. L'annonce de sa mort a été ressentie comme une grande calamité et un immense préjudice pour les jeunes Marocains qui oeuvrent pour l'évolution et le progrès de leur pays. Le disparu ne faisait pas partie de cette jeunesse ordinaire qui ne se prévalait d'aucune valeur distinctive dans la vie sociale. Il était au nombre de cette minorité qui a mis sa vie au service de la nation et consenti d'immenses sacrifices pour s'acquitter de ses obligations envers son pays dans maints domaines constructifs qu'il considérait comme autant d'étapes préliminaires à toute évolution pouvant contribuer à élever le niveau du milieu marocain. Il était comblé de dons remarquables et était doué de dispositions naturelles pour rendre d'insignes services à ses frères d'infortune. Il a initié des projets et créé des activités productives, et est arrivé à surmonter toutes les difficultés qu'il rencontrait lorsque des problèmes venaient à surgir ou que des situations venaient à se compliquer. Il faisait preuve de patience et d'endurance en affrontant les chocs qui s'abattaient sur lui, et redoublait d'effort en mobilisant toutes les ressources de son énergie pour mener à bien les tâches qu'il s'était fixées.

En réalité, bien que sa vie ne fût que de courte durée, elle était marquée de bout en bout d'une suractivité exceptionnelle. Jamais il n'a donné des signes de lassitude ou de découragement jusqu'au jour où son coeur s'est arrêté de battre. Si nous voulons analyser la psychologie de ce jeune actif, dont la disparition vient de mettre fin à une courte période de notre histoire qu'il a imprégnée d'un engagement résolu et incisif dans différents domaines, il nous sera difficile d'en faire une étude exhaustive ou de la cerner dans cet article succint, car le disparu se distinguait par des qualités qui se trouvaient rarement réunies chez autrui. Mais, ceci ne nous empêche pas d'en donner ne serait-ce qu'un aperçu sommaire:

Saïd était une lumière, et le propre de l'intelligence est de répandre son éclat autour d'elle. La nature l'a gratifié d'une noblesse de caractère et d'une lucidité d'esprit qui ont largement contribué à le faire aimer de tous ceux qui l'ont connu et pu déceler, grâce à ses méthodes de recherche et d'analyse, les signes des vérités fondamentales et leurs objectifs suprêmes; ceci en plus de la conception qu'il se faisait de la vie, de la vision sereine qu'il en avait et de la volonté qu'il mettait pour atteindre ses objectifs. Il n'y a rien d'étonnant à celà, car il se distinguait par le travail dans les limites de la pensée et inversement. Cette qualité était l'une de ses caractéristiques les plus saillantes. Il ne pensait jamais d'une manière utopique à l'instar de beaucoup de nos jeunes qui se mouvaient dans un vaste espace de fiction sans aucun rapport avec leur situation et celle de leur environnement. Ceci faisait partie des traits distinctifs du défunt qui ont fait sa réputation dans tous les milieux. Il formulait des critiques acerbes à l'encontre de ces méthodes chimériques stériles, dont il a, d'expérience, saisi l'inutilité. Il s'est toujours gardé de s'y engager et de perdre son temps avec des futilités qui n'ont aucun rapport avec la vie objective. Dans les réunions, il avait l'art de ramener avec tact et délicatesse celui parmi l'assistance qui se laissait emporter par les ressorts de son imagination, à la réalité des phénomènes qui présentaient un intérêt social indéniable.

Telles sont quelques unes des qualités méritoires dont Saïd s'auréolait. Nous sommes consternés et affligés par la disparition d'un ami à la fleur de l'âge, à un moment où il se dévouait entièrement à la cause de la presse et de la jeunesse marocaines. Que Dieu l'ait en sa sainte miséricorde, et comble de patience et de réconfort les membres de sa famille, ses amis et ses connaissances.

Ahmed Nejjar