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Nombreux sont les écrits et les ouvrages de recherche tant sur le plan national qu'à l'étranger qui ont procédé à l'étude et à l'analyse du Mouvement National marocain en tant que donnée historique, sociale, culturelle et politique, qui a pris la relève de la lutte armée en lui substituant l'action politique organisée sur une base idéologique, un programme d'action précis et des objectifs nationaux clairs.

Les données de cette action politique et leur mise en oeuvre se sont manifestées sous forme de campagnes de protestations contre les premières mesures administratives prises par la puissance coloniale, ayant touché les besoins vitaux des citoyens marocains, de rassemblements dans les mosquées et les meetings organisés sur les places publiques où des discours enflammés fustigeaient la politique de séparation éthnique préconisée par l'Administration du Protectorat, de pétitions et de télégrammes, de confrontation avec les forces d'occupation et de répression coloniales., d'appels au jeûne et au boycottage des produits coloniaux.

Des thèses et des opinions diverses se sont affrontées au sujet de ces différentes manifestations de l'action politique:

Certains analystes n'ont pris en considération dans leur évaluation du combat mené par le Mouvement National que les acteurs qui y ont participé ou y ont joué des rôles de premier plan pendant la phase de sa genèse et au cours de son évolution.

D'autres ont jeté sur le processus de lutte une vue partisane, voire une position sectaire dominée par l'esprit de clan.

D'autres encore ont essayé d'en limiter le mérite aux actions menées sur un plan régional ou local.

D'autres enfin ont saisi cette période de lutte contre le colonialisme comme une donnée nationale et l'ont analysée avec l'esprit objectif de l'historien ou l'impartialité du chercheur méticuleux et pleinement conscient de ses responsabilités.

Mais, malgré cette diversité d'approches et la différence des orientations et des objectifs historiques, intellectuels et politiques dictés par les dispositions personnelles qui, même sans paraître au grand jour, ont motivé chez les uns et les autres une certaine conception de l'écriture historique, ces ouvrages sont considérés dans leur quasi-totalité comme une banque de données qui a le mérite de constituer une source d'informations auparavant inédites et une matière référentielle de nature à permettre une certaine codification de cette période de l'histoire du Mouvement National marocain.

Ceci s'explique par le fait que l'héritage de ce capital de connaissances renferme des données et des informations utiles susceptibles d'aider le chercheur responsable et impartial dans le processus de vérification, de comparaison, de rapprochement et de correction.

Et c'est précisément dans ce capital de connaissances que Salé a les meilleurs atouts et dispose de la part la plus grande qu'elle doit à sa situation géographique, au rôle de premier plan qu'elle a joué dans l'histoire du Maroc, à son parcours civilisationnel, à son ouverture depuis des temps reculés sur son environnement national et international, ainsi qu'aux activités et aux efforts déployés par ses habitants, toutes classes sociales confondues.

Ces données et ces dispositions d'esprit qui ont exercé un impact considérable sur les signes distinctifs de la ville, lui ont permis d'engendrer de grandes maisons, des foyers et des familles qui, de père en fils, se sont transmises le prestige des sciences et des lettres, l'aptitude à affronter les obstacles et lutter contre toutes les difficultés, les prédispositions à la diplomatie, aux emplois du Makhzen, aux fonctions judiciaires et législatives, à la militance dans les rangs du nationalisme politique et à la participation à la lutte armée.

Ce capital de connaissances a, par ailleurs, fait que la ville de Salé soit rangée parmi les villes d'avant-garde et figure parmi celles d'entre elles qui se placent toujours sur les lignes de front du combat de libération depuis la seconde décade du siècle écoulé, avant même que ne fut déclenché le mouvement du "latif" contre le dahir berbère, mouvement que certains historiens et hommes politiques considèrent comme le point de départ qui aurait donné naissance au Mouvement National marocain.

En réalité, le dahir berbère n'était qu'un subterfuge politique ourdi par l'autorité coloniale pour contrecarrer les prémices du réveil et de la renaissance nationales qui commençaient à prendre de l'ampleur, notamment à Salé, à partir des années 20, avec les prises de position du commandant Abdallah Bensaïd et de Haj Ben Aissa Laâlou que le gouvernement du protectorat a condamnés à l'exil en 1920, le premier nommé à Oujda, le second à Safi, sanctionnant ainsi une activité patriotique jugée incompatible avec la politique fiscale nouvellement instaurée par la puissance coloniale.[20]

Qu'il me soit permis d'étayer cette argumentation par une citation de Georges Oved qui a notamment écrit à ce propos:

"Contrairement à l'opinion communément répandue, non seulement que le mouvement nationaliste n'est pas né d'une protestation contre le dahir berbère, mais que celui-ci est conçu comme le moyen de s'oppser au nationalisme".

Ce réveil précoce est considéré comme une des spécificités les plus saillantes de l'action nationale dans la ville de Salé.

Ces spécificités se sont d'abord révélées dans la conscience des pionnières et des pionniers du Mouvement National, ainsi que dans leur situation intellectuelle et sociale.

Elles se sont ensuite manifestées dans les activités de l'élite consciente et le militantisme d'hommes dévoués parmi les ouvriers, les artisans et les populations rurales qui étaient acquis à la cause défendue par ces pionnières et ces pionniers, et auxquels revenaient le mérite, comme l'a souligné l'historien de Salé Mohammed Zniber:

"... de favoriser l'émergence des dirigeants et constituer l'assise populaire des hautes instances politiques, tant il est vrai que l'arbre ne doit en aucune manière nous cacher la forêt".

Ce sont ces spécificités et ces caractéristiques propres qui ont amené les auteurs de certains écrits et ouvrages parus à ce jour à qualifier la ville de Salé tantôt de "ville de la presse nationale", tantôt de "foyer du nationalisme populaire". D'autres auteurs l'ont décrite comme étant une "ville du savoir et du militantisme" ou encore de "ville de clubs littéraires, de centres culturels et de foyers de la jeunesse et des sports".

Au demeurant, la ville de Salé a fait de toutes ces activités un moyen d'éveiller les consciences et de mobiliser les couches populaires autour de la cause nationale dans les différents milieux sociaux.

Les exposés qui seront présentés au cours de ce colloque et les interventions qui seront faites en marge de ces communications aborderont certainement bon nombre de ces spécificités.

Il est fort probable qu'ils apporteront des éléments nouveaux et une analyse en profondeur des évènements qui ont marqué l'époque considérée, eu égard au potentiel d'informations dont disposent les conférenciers et les chercheurs qui participent à cette table ronde d'une part, et à la valeur des attestations qui seront fournies par les mémoires vivantes qui ont vécu tout ou partie des évènements portés à l'actif du Mouvement National, ou contribué de près ou de loin à les façonner ou à leur imprimer l'orientation qu'ils ont prise.

En dernière analyse, il y a lieu de mettre l'accent sur certains aspects des spécificités de la ville de Salé qui s'est caractérisée au cours des années trente et quarante du siècle écoulé par un milieu social marqué par l'esprit de tolérance, la coexistence entre les composantes du corps social et le respect mutuel au niveau des foyers et des familles à l'échelle de l'ensemble de la population urbaine et ce, malgré la différence des niveaux de vie et la diversité des opinions sur le plan des idées et des conceptions politiques des uns et des autres.

Le respect d'opinion - celle d'autrui en particulier - faisait partie des louables qualités morales d'une société qui trouvait malséant de se conduire dans l'irrespect des règles et des convenances sociales. Les rencontres intellectuelles ou familiales se déroulaient dans un climat de maturité qui permettait un dialogue de haut niveau civilisationnel.

Notre souhait est que ce dialogue mûr et responsable puisse dominer les travaux de cette table ronde pour qu'elle soit un véritable réservoir de connaissances additionnelles et un domaine de référence pour l'écriture de l'histoire du Mouvement National puisque, comme nous le constatons tous aujourd'hui, cette histoire est en train d'être réécrite, et les faits historiques sont en train d'être passés au crible, grâce aux questions que se pose la génération d'après l'indépendance soucieuse de s'enquérir de son passé afin de mieux comprendre le temps présent.

Nous souhaitons vivement que l'initiative prise aujourd'hui par la ville de Salé, à l'instar de nombre d'actions qu'elle a initiées depuis les années 20, constituera un pas qui sera suivi de pas identiques dans le reste des villes et des régions du Maroc, dans le souci de contribuer à une écriture valable et codifiée de l'histoire du Mouvement National, permettant ainsi aux générations montantes de tirer une leçon et un exemple à méditer de ce passé prestigieux.

Ce faisant, elles seront en mesure de soumettre ses données et ses aspects conjoncturels à une analyse minutieuse compte tenu des critères de l'époque, condition sine qua non pour mieux saisir la complexité de la période actuelle.

En dernier lieu, nous devons signaler que les idées consignées dans ce papier reflètent de manière générale les débats auxquels ont participé les membres de la commission scientifique qui étaient chargés de préparer les thèmes de cette table ronde.

Ce papier qui se veut également le reflet des idées qui se sont dégagées du résumé des communications présentées par les chercheurs, constitue ainsi un document de nature à orienter les débats, et sera lui-même soumis à d'éventuels amendements au début des séances scientifiques, dont les travaux commenceront à partir de la journée de demain, comme indiqué sur le programme du colloque.

Vous êtes par conséquent tous priés d'assurer votre présence parmi nous, afin que vous puissiez avec vos idées et vos points de vue enrichir les débats et apporter votre précieuse contribution aux efforts de recherche qui sont actuellement déployés pour appréhender toutes les péripéties du parcours effectué par les pionniers et les pionnières du Mouvement National au cours des années trente et quarante.

Vous remplirez ainsi un devoir national en participant activement à l'élargissement des connaissances que nous avons de cette période prestigieuse de notre histoire.

Dr Zaki Moubarak

L'Institut Universitaire de la Recherche Scientifique - Rabat

Nota bene :

Nous donnons ci-après les grandes lignes du programme de la table ronde en précisant que seule une partie des exposés a été traduite en français et reprise dans le présent ouvrage. Le texte intégral en version arabe a fait l'objet d'une publication séparée réalisée par le Haut Commissariat aux Anciens Résistants et Membres de l'Armée de Libération avec la collaboration de l'Association du Bouregreg à Salé.

(Note de l'éditeur)



[20] Il s'agit ici des premières mesures d'exil prises à l'encontre de patriotes marocains pendant l'ère du protectorat qui n'en était encore qu'à sa huitième année d'existence au Maroc.