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A partir du 25 octobre 1936, date à laquelle le Comité d'Action Nationale a tenu les assises de son premier congrès, les objectifs du mouvemnt national étaient clairs et bien définis; les moyens pour y parvenir ont également été mis au point avec l'organisation des potentialités patriotiques au plan national. Il a été alors décidé de montrer à la puissance protectrice que le Comité d'Action Nationale n'était pas limité à quelques personnes qui revendiquaient, isolément et à titre individuel, la mise en oeuvre d'une politique de réformes, mais qu'il était un mouvement national organisé et établi dans toutes les régions du Maroc, avec un programme bien défini et des aspirations légitimes qui devaient obtenir satisfaction en tant que doléances du peuple marocain dans son ensemble. C'est ainsi qu'il a été décidé d'organiser des meetings populaires de soutien du Plan de Réformes à travers différentes villes du pays.

Le meeting du 2 novembre à Fès

Le premier meeting s'est déroulé le 2 novembre 1936 à Fès devant un auditoire évalué à plus de 3.000 personnes.

Dans son allocution improvisée, le leader Allal El Fassi a souhaité la bienvenue à la nombreuse assistance qui a répondu à l'appel du Comité d'Action Nationale; puis, il a exposé les raisons de l'organisation de ce meeting. Il a présenté les émissaires du mouvement qui étaient de retour de Paris, et annoncé la tenue prochaine d'une réunion d'évaluation des résultats obtenus dans le cadre de la mission de sensibilisation des milieux français qu'ils venaient d'effectuer.

La parole a ensuite été donnée à Saïd Hajji qui a abordé le thème des libertés démocratiques. D'autres orateurs lui ont succédé, exposant à tour de rôle les problèmes de l'enseignement, de la réforme de la justice, de la situation politique générale, de la misère du fellah et des problèmes soulevés par la condition ouvrière.

Allal El Fassi a ensuite donné lecture des motions adoptées par le premier congrès du Comité d'Action Nationale ainsi que de la version définitive du texte des "Revendications Immédiates", qui ont reçu l'adhésion unanime de l'assistance.

Le meeting du 10 novembre à Salé

Le meeting de Salé s'est déroulé dans le même schéma que le meeting de Fès. La séance a été ouverte par Abou Bakr Kadiri qui a souhaité la bienvenue à l'assistance et donné la parole au leader Allal El Fassi. Celui-ci a consacré son exposé à l'historique du Mouvement National, à ses principes et ses objectifs, ainsi qu'aux moyens mis en oeuvre pour réaliser ses aspirations à une vie de liberté et de dignité.

Comme à Fès, Saïd Hajji lui a succédé à la tribune pour reprendre le thème des libertés publiques. Il a été suivi par un certain nombre d'orateurs parmi ceux de Fès auxquels s'est joint Haj Ahmed Maâninou de la branche de Salé pour aborder les sujets de l'enseignement, de la réforme de la justice et de la condition ouvrière, qui constituent les points essentiels du Plan de Réformes.

Puis, Abou Bakr Kadiri a donné lecture des motions du premier congrès ainsi que du texte des "Revendications Immédiates", et a demandé à l'assistance de les approuver par acclamation.

Le meeting du 17 novembre interdit à Casablanca

Un très nombreux public est venu pour assister au 3ème meeting populaire du Comité d'Action Nationale. Mais il a été surpris de voir un grand détachement des forces de l'ordre auxquelles étaient mêlés des agents d'autorité conduits par le Khalifa du Pacha de Casablanca. Celui-ci est allé au-devant des leaders du mouvement pour les informer que la manifestation était interdite. Le public, composé essentiellement de jeunes, s'est révolté et s'est mis à entonner des chants patriotiques, tout en clamant des slogans passibles de graves sanctions tels que "Vive la liberté", "A bas la repression" ...Ils ont ensuite soulevé Allal El Fassi sur leurs épaules, et celui-ci, au mépris des forces de l'ordre, a littéralement harangué la foule avec une allocution dénonçant les mesures arbitraires d'étouffement des libertés tout en invitant les manifestants à se séparer et à regagner leurs domiciles dans la dignité et le calme. Quelques instants plus tard, les trois leaders qui dirigeaient le mouvement, à savoir Allal El Fassi, Mohammed Elyazidi et Mohammed Hassan Elwazzani ont été arrêtés manu militari et jetés sans aucun ménagement en prison comme de vulgaires malfaiteurs. La nouvelle de leur arrestation s'est répandue comme un éclair dans toutes les villes du Maroc où des manifestations improvisées ont été organisées par les responsables locaux du Comité d'Action Nationale.

A Salé, la manifestation est partie du domicile de Mohammed Bekkali en direction du Mausolée de Sidi Ahmed Hajji. Le nombre de manifestants a atteint des proportions telles que les Autorités ont dû faire appel à un très grand renfort des forces de l'ordre. Et c'est dans cette atmosphère de grand enthousiasme que Saïd Hajji a pris la parole pour exposer les raisons qui ont amené la branche de Salé du Comité d'Action Nationale à organiser cette manifestation. Il a insisté sur le caractère pacifique de ce vaste rassemblement des masses populaires de Salé venues pour manifester leur solidarité agissante avec les leaders qui venaient d'être arrêtés à Casablanca et réclamer leur libération immédiate. Puis, le cortège s'est dirigé vers la mosquée de Sidi Ahmed Hajji où Abou Bakr Kadiri a pris la parole pour reprendre les thèmes du 1er congrès du Comité d'Action Nationale et dénoncer les arrestations injustifiées des leaders du Mouvement.

A l'issue du rassemblement, Abou Bakr Kadiri a été envoyé en prison avec six autres manifestants, parmi lesquels il y avait Haj Ahmed Maâninou et Mohammed Bekkali. Beaucoup de patriotes des autres villes ont connu le même sort, si bien que le Gouvernement Français a dû donner des directives au Gouvernement du Protectorat pour élargir les 3 leaders arrêtés à Casablanca ainsi que tous les détenus politiques ayant participé aux manifestations de solidarité. C'est ainsi qu'après un mois d'incarcération arbitraire, toutes les personnes emprisonnées après l'interdiction du 3ème meeting de Casablanca ont été élargies.

Il n'est pas inutile, ne serait-ce que par souci de montrer avec quelle désinvolture les patriotes étaient conduits pour un oui ou pour un non - voire ni pour un oui ni pour un non - aux commissariats de police pour subir des interrogatoires humiliants, et de là en prison où ils restaient enfermés souvent même sans jugement, de rappeler que pendant cette même année 1936, Abou Bakr Kadiri a été écroué pour n'avoir pas obtempéré à l'injonction qui lui a été faite de ne pas ouvrir une dépendance de l'école "Al Nahda" qui s'appelait à l'époque "l'école coranique". Mieux encore, lorsque le tribunal a ordonné son élargissement, Saïd Hajji, Kacem Zhiri, Haj Ahmed Maâninou qui ont osé applaudir sur la voie publique à la sortie du détenu à qui le tribunal venait de mettre fin à sa période d'incarcération, ont été à leur tour arrêtés et ont dû passer quelques jours dans la prison de Rabat "pour crime d'applaudissements".

Abderraouf Hajji.