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Mémoire établi par le Comité d'Action Nationale à propos de la crise économique provoquée par la sécheresse au milieu des années trente

La crise économique sévit au Maroc d'une façon effrayante. Les importations marocaines annuelles dépassent les exportations d'un milliard de francs. Tout le monde souffre de la désorganisation de l'économie générale du pays, ce qui implique au Gouvernement le devoir d'adopter une politique économique dans l'intérêt de tous en s'inspirant de l'esprit des réformes économiques et financières proposées dans le Plan des Réformes Marocaines et s'appuyant en outre sur les principes scientifiques les plus modernes en conformité avec les intérêts du Maroc toujours exposés aux perturbations atmosphériques qui commandent sa production agricole.

Cette politique doit s'attacher principalement à doter le pays de moyens d'irrigation tels que la création de barrages dont le fellah tirera profit comme les colons qui profitent des barrages qui ont été construits jusqu'à ce jour. Il est établi que le Maroc est avant tout un pays agricole. Sa production constitue sa richesse dont dépend sa vie matérielle. Si elle est atteinte, sa vie économique s'en ressentira et des inquiétudes gagneront la population. C'est ce qui est arrivé malheureusement dans ces temps difficiles puisque la récolte a subi un désastre à cause du manque de pluie juste au moment où elle en avait grandement besoin.

La vie est devenue excessivement dure pour la classe pauvre et la classe moyenne, l'argent ne circulant plus et la hausse s'emparant des prix, ce qui fait planer sur la population une menace de famine susceptible de troubler l'ordre public et d'augmenter la criminalité dont les symptômes commencent à apparaître dans certains endroits. Les gens ont senti la gravité de cet état de choses qui les menace et se trouvent en proie à des appréhensions mêlées d'inquiétude. Devant cette situation angoissante, ils se sont adressés à Allah, implorant miséricorde et demandant la pluie afin que disparaissent ces malheurs. Des prières publiques exceptionnelles ont été faites en ce sens dans différentes villes du Maroc. Celà reflète l'état d'âme du peuple et donne une exacte idée de la situation angoissante qui exige un remède efficace.

Le Comité d'Action Marocaine agissant dans l'intérêt véritable du peuple et, conformément à ses aspirations et ses besoins, a été appelé à étudier la question sous tous ses rapports et à soumettre aux autorités responsables des solutions qu'il croit capables de contribuer à alléger le poids de cette crise qui règne et dont souffrent toutes les classes marocaines. Le Comité a le ferme espoir que l'autorité supérieure prendra en considération les solutions proposées et agira au mieux des intérêts du peuple angoissé. Compte tenu des circonstances actuelles, ces solutions peuvent se traduire par la nécessité de

  • Prendre les mesures propres à garantir le ravitaillement des souks marocains afin que la population puisse se procurer les céréales dont elle a besoin et qui constituent la base de la subsistance quotidienne de tous les Marocains.

  • Arrêter la hausse des cours des céréales en en fixant les prix sur la base de la moyenne des cours pratiqués sur les marchés mondiaux et en surveillant les cours des souks agricoles tout en respectant la liberté des échanges intérieurs.

  • Créer des caisses publiques de secours

  • S'efforcer de donner du travail aux chômeurs marocains ou, à défaut, leur venir en aide

  • Laisser complète liberté à toute activité publique tendant à apporter des secours aux pauvres et à soulager leurs misères

  • Dispenser du "tertib" les terres atteintes par la sécheresse, tenir strictement et justement compte des rendements au moment de l'imposition dans les contrées partiellement atteintes

  • Dispenser les fellahs sinistrés de rembourser les prêts accordés par leur société de prévoyance

  • Avoir soin de mettre en réserve les céréales pour les distribuer aux fellahs qui en auront besoin l'année prochaine pour leurs semences

  • Arrêter toutes saisies et ventes judiciaires et protéger la terre du fellah; différer les paiements de créances dues par les particuliers aux sociétés jusqu'à une année agricole prospère, après révision du taux de l'intérêt

  • Fixer le prix de la farine (des minotiers) afin de la mettre à la portée du travailleur obligé d'en consommer. Etablir un contrôle sévère sur l'application des mesures portant interdiction de la vente des farines fourragères provenant des minoteries (makina)

  • Supprimer les corvées et les charges auxquelles est soumis le fellah dans le bled, telles que les "diffas" et les "sokhras" (commission imposée aux plaideurs au profit du makhzen) qui sont de sérieux motifs de plainte de la part des gens des villes et des campagnes et qui sont contraires à la conception moderne des droits de l'homme